la Gazette des Astrologues

n°183 - Janvier 2020

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

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“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Je plaide coupable !

Oui, coupable d’avoir écouté les conseils du vieux Saturne, mon maître à penser.

Je devine votre étonnement : pourquoi dénoncer ma connivence avec ce sage dont le discernement est légendaire ?  

La raison, la logique et l’opiniâtreté qu’il recommande n’ont-elles pas apporté aux hommes le moyen de gérer leur vie avec détermination et de ne se fier qu’aux faits éprouvés ?  Où en seraient-ils, ces pauvres humains, s’ils s’en remettaient aux hypothèses les plus vagues, voire les plus fallacieuses ?  

Sans la fermeté dans leurs engagements, sans une excellente maîtrise dans leur gestion de la Cité, sans l’autodiscipline de leur pensée plutôt que la glissade périlleuse de leurs états d’âme et de leurs humeurs, les hommes n’auraient pas acquis l’expertise qui leur permet, de siècle en siècle, d’atteindre leurs objectifs.

Et donc, pourquoi me sentir tout à coup coupable ?  Et de quoi ?

Sur l’arbre généalogique des dieux planétaires, me voici étrangement placé entre le Sagittaire et le Verseau, autant dire entre Jupiter et Uranus ; ou mieux : entre Ouranos (le Ciel) et Zeus que Rhéa, ma femme, n’aurait jamais dû enfanter…

Il m’aurait plu de régner sans partage et d’imposer aux dieux, puis aux hommes, l’ordonnance de mes préceptes. On connaît la suite de l’histoire : Zeus / Jupiter a tôt fait de garder le ciel pour lui et d’inciter les hommes à proliférer inconsidérément, à conquérir la terre et à se vouloir égaux aux dieux, dès lors que Prométhée leur avait donné le feu de l’Olympe.

Il en résulte que les hommes, devenus industrieux et conquérants, contribuèrent à modifier l’évolution du monde ; si bien que les voici entrés dans l’Anthropocène (1).  

Le cadeau de Prométhée se retourne contre eux.  En cela, ce dont je me sens responsable, c’est de n’avoir pu les exhorter à la pondération, à la modération et à la sagesse.  Ce n’est pas faute de leur avoir démontré tout le mérite et toute l’utilité de la « mise à distance ».  Or, cette distanciation…(2), j’ai mal apprécié ce qu’ils en feraient.

Au cours de l’histoire de la pensée, j’ai notamment inspiré un penseur de renom : René Descartes (3).

Dans son souci de confronter la certitude indubitable au doute, René déclara le dualisme ontologique des substances. L’âme et le corps sont deux entités distinctes, de nature différente.

En bon saturnien, j’y trouvai mon compte.  C’était sans doute aller un peu vite en besogne.  J’étais loin d’imaginer à quel point l’homme « duel » allait progressivement se placer « hors de la nature » et puis, rapidement, bien au-dessus d’elle, jusqu’à prendre à la lettre l’Écriture Sainte lorsqu’elle met dans la bouche de Dieu (4) : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre ».

Dès lors, l’homme s’accorda le statut de « créature suprême ».

Et voilà où j’interviens coupablement : en lieu et place du temps cyclique (qui, je le souligne, met si bien en appétit mon voisin, le Sagittaire ; et alors que je suis et reste sur la défensive quant aux péripéties souvent inconséquentes de mon autre voisin, le Verseau), je préconisai aux hommes, désormais porteurs du feu, de choisir le temps linéaire susceptible de canaliser leurs passions et de forger leur caractère.

Ce faisant, j’ignorais l’avidité humaine, accoutumé que j’étais à la frugalité et à l’ascèse.  

Or, les hommes inversèrent mon exhortation.  Dans le cours séculier de leur ingénierie, ils prirent le parti du « le toujours plus » en lieu et place du « toujours mieux ».  Si bien que le temps de leur satiété ne vint jamais.  

J’ai toujours pensé que le futur de l’humanité réclamait la conquête des immensités intérieures, bien plus que des continents lointains.  Mais voici les hommes entrés dans une époque où la transmission horizontale (grâce aux réseaux sociaux) supplante la transmission verticale, celle (évidemment) de mes bons conseils, mais aussi celle de leur propre héritage culturel fixé dans la pierre.  

Mais on me souffle à l’oreille que ma présente diatribe « sur le vif » doit s’inscrire dans le thème des passions. De quelle passion voulez-vous que je vous entretienne, si ce n’est de la compétence acquise par l’effort, par la persévérance et le mérite, par la logique et la méthode ?

Les hommes sont des fabulateurs, tant il est vrai qu’ils restent des enfants. En cela, ils préfèrent ancrer leur vie dans le giron lunaire (5) que j’ai quitté depuis bien longtemps.  

Les hommes se racontent des légendes et ils s’inventent des histoires ludiques pour donner sens au réel qui les entoure.

Seraient-ils optimistes par vocation ? Se laisseraient-ils baratiner par des sirènes en-chanteresses qu’elles soient neptuniennes ou qu’elles revêtent le manteau mystifiant de Jupiter ?   

De la mythologie à la philosophie, en passant par la sociologie, les sciences et les reli-gions, ou encore l’histoire, la question du vrai ou faux se décline dans des fables hasardeuses et invérifiables.  Face à cela, je persiste et signe : rien ne vaut l’expérimentation silencieuse et froide, dans le silence d’une chambre close, loin des agitations du monde.  

Plutôt que de m’écouter, les hommes s’en sont allés par monts et par vaux, laissant libre cours à leur appétit, peu soucieux des conséquences, vivant dans une dualité irréversible, préférant goûter aux promesses des vendeurs de rêve plutôt qu’au silence de l’oratoire méditatif que je leur proposais.

En toutes mes recommandations, serais-je un moralisateur ?  On se plaît à le dire…  Mais mon flegme me met à l’abri de tels jugements.  Je suis capable de mesurer par moi-même le discernement de mes propres choix.  

Cependant, j’en conviens, ma cuirasse cède aujourd’hui, face au constat d’un monde prêt à basculer.  J’y vois la conséquence du « dualisme » mentionné plus haut.  Certes, à mesure que les hommes considéraient essentiel d'être maîtres de la nature, ils assuraient le déploiement et les prouesses de leur industrie ; mais sans trop voir que la puissance de leur technique ne pouvait résoudre leur désarroi face aux questions existentielles de la vie et de la mort.

Aujourd’hui, je comprends mieux l’enfant intérieur et fragile auquel j’ai imposé le silence.  Je perçois sa désillusion face au fossé qui se creuse entre performance et intimité, entre raison et rêve, entre résultat et aspiration.

Pourquoi ai-je à ce point nié ce qui en moi était fragilité et inconstance ? Sans doute parce que je voulais me préserver du désir toujours inassouvi d’un cocon protecteur. Il me fallait serrer les dents et, sans complaisance, cicatriser bien vite la plaie ouverte dès mon premier pas dans le monde.  

Pour l’enfant que j’étais, tout geste inconsidéré, imprudent ou irresponsable me semblait être un danger mortel.  Mon austérité, pensai-je, m’assurait une sorte de liberté. Ce faisant, je ne me soumettais ni aux lois ni aux règles ; je me les imposais à moi-même.

Un tel engagement suppose le contrôle de chaque parole. Ce qui me conduit aujourd’hui à m’interroger : quels sont les mots qui me cachent et quels sont les mots qui me livrent ?   

Que ce soit en haut de la montagne où grimpe la chèvre cornue, la Caper (6), ou que ce soit dans le silence de ma chambre austère et froide, je saisis le fouet qui congédie mes doutes et qui chasse mes faiblesses.  

Finalement et sans réelle emprise sur le monde tel qu’il va, je persiste et signe : pour bien faire ce qu’il nous revient de faire, rien de tel que de paraître détaché de la réalité immé-diate, avec le risque de lui paraître indifférent, alors que, dans le même temps, j’en suis préoccupé jusqu’à l’obsession. Comprenne qui pourra…

Mon détachement ressemble au blanc de l’hiver. Tel est le lourd matelas qui étouffe les bruits, qui emplit les creux, qui nivelle les reliefs. C’est un linceul qui recouvre les fauteuils dans ma maison désertée ; alors même que sous cette étrange toison se prépare la vie.  

Car en ce début d’année, déjà, le gonflement de la vie se prépare.  Une telle merveille s’apprête sans…  apprêts et avec si peu de bruit…  

De légers crissements sont néanmoins perceptibles pour celui qui sait les entendre : tassement léger de la neige qui songe à reproduire la dureté de la pierre.  

Bientôt, lorsque la terre se réveillera, lorsque l’homme réunira les deux versants de sa nature, un peu de lumière revalidera toute l’importance du temps circulaire. Alors, mon royaume viendra, mais plus tard, après celui du Verseau (7).  

Finalement, mes pérégrinations solitaires (8) dans un monde chamboulé m’ont récemment et utilement conduit vers d’autres parcelles de vérité ; parcelles qui n’ont pas manqué d’ébranler mon stoïcisme ; si bien que l’intransigeance de mon raisonnement se trouve mise à mal… Car, à la réflexion et selon la pensée orientale, percevoir, c’est toujours percevoir quelque chose…  

Si dix personnes observent la même fleur, elles en auront dix perceptions différentes.  Notre intelligence des choses est donc entachée de subjectivité.  Ce qui fait revenir à ma mémoire mes sensations, mes humeurs, mes colères et même mes caprices d’enfant…  

Comment se fait-il que j’aie laissé s’étioler tout cela, croyant accéder à une vérité inébranlable et transposable d’une personne à l’autre ?  N’aurais-je fait, tout au plus, que proclamer un point de vue… absolument relatif ?  

Je saisis fort bien tout le paradoxe de ces deux termes qui désignent dans quelle aporie(9) je me suis placé, à force de juxtaposer la soif d’un absolu et l’expérience de la relativité.

Telles sont mes fêlures que je m’empresse de recouvrir d’un manteau austère.  

Droit et sec comme un « i », je m’applique continûment à réfléchir pour ne pas pleurer, à cogiter pour ne pas flancher, à me mettre à distance pour ne rien ressentir…


Jacques VANAISE


(1) L’Anthropocène : nom donné à notre époque géologique dont le commencement correspond au début de l’impact à grande échelle de l’activité humaine sur la biosphère.

(2) La distanciation brechtienne propose de se mettre « à distance » par rapport à la réalité, à seule fin (comme le choisit le Capricorne) d’être conscient des mécanismes et des enjeux de ce qui se déroule en soi et autour de soi).

(3) Descartes est Bélier, mais son Soleil est en tension à son Ascendant Capricorne. Saturne est en trigone à Mercure.

(4) Genèse 1.28.

(5) Le Capricorne est (bien entendu) opposé au Cancer, signe dévolu à la Lune.

(6) La Caper légendaire, animal hybride : chèvre à queue de poisson qui suggère le symbole du Capricorne.

(7) Cf. le temps cyclique propre à la précession des équinoxes.

(8) Cf. la figure de l’Hermite.

(9) Aporie : une contradiction qui semble insoluble ou insurmontable.


NDLR : on remarquera dans ce texte le souci très saturnien de l’explicitation reconnaissable ici (et pour la première fois dans cette chronique « Sur le vif ») par le nombre de notes adjointes en bas de page.  CQFD.

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

Le Capricorne :  la chambre froide

Sur le vif

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