l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°204 - Octobre 2021

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Sous le signe de la Balance, je pose une question fondamentale : convient-il que nous devenions celui / celle que nous sommes, par nous-même, ou s’agit-il que nous nous définissions par opposition à tout ce qui nous entoure ?

Nous sommes chacun et incontestablement le résultat d’une interaction entre notre potentiel et « le monde », tel qu’il nous sollicite, nous convoque, nous interpelle.

Mais, en fin de compte, sommes-nous le produit de ce qui nous est propre, ou sommes-nous celui / celle que nous sommes à mesure que nous nous établissons dans et par la distinction et parfois l’antagonisme ?

Autrement dit, sommes-nous « ce que nous sommes » parce que nous avons toujours voulu l’être, ou le sommes-nous en nous définissant par opposition, par exclusion, par antithèse ?

Dans une autre vie , l’un de mes collègues  s’opposait systématiquement à l’avis des autres employés. Si, le lundi matin, l’ensemble du personnel commentait avec ferveur le match de football de la veille , il déclarait abrupto que les joueurs avaient été complètement nuls. Si, au contraire, ses collègues (tous experts, bien entendu, en sport télévisuel…) critiquaient l’un ou l’autre joueur, il prenait illico sa défense.

Je me suis souvent interrogé à propos de François : qu’est-ce qui le poussait à prendre ainsi méthodiquement le contre-pied d’une opinion pourtant unanime ? Peut-être ne cherchait-on qu’à le faire sortir de ses gonds. En l’occurrence, il était bon joueur et il ne manquait pas de monter au créneau et de s’engager dans la controverse.

Une telle divergence ne saurait, à elle seule, illustrer le profil caractéristique de la Balance, supposée rechercher l’accord, le consensus, l’unanimité . Je la prends en exemple pour poser la question : qu’est-ce qui nous individualise chacun ? L’expression flagrante de notre caractère ou le principe, comme pour le tricot, de la maille « à l’envers » qui se démarque de celle « à l’endroit » ?

Au départ, nous disposons évidemment d’un potentiel qui nous différencie. Ce potentiel, nous avons besoin des sollicitations du monde pour l’exprimer.

Or, si notre perception et notre représentation du monde se fondent à partir d’un point de vue personnel, celui-ci suppose une réclusion, un retrait, une différenciation, une altérité.

Le damier du jeu de dames ou d’échecs illustre bien cela : chaque case blanche se distingue positivement par sa propre couleur, mais aussi négativement par le fait de ne pas être noire.

Considérons à présent que le « je » que nous sommes ne peut être et vivre uniquement par et pour lui-même. Il ne peut s’accomplir qu’au contact d’un « tu ». D’où, pour la psychanalyse, la relation entre ce « tu » en tant l’objet (l’autre, le monde) et le sujet (nous-même).

Or, ce « tu » extérieur agit aussi en nous et nous agissons réciproquement en lui.

Prenons le temps d’expliciter cela.

Notre réalité humaine est fondamentalement un monde relationnel. Dès notre naissance, de façon certes progressive, nous sommes dans une disposition d’accueil ou, au contraire, de mise à l’écart (voire de rejet) du monde et de l’autre. Dès le départ, nous sommes dans une situation de relation ou d’exclusion mutuelle. Cette aptitude, nous la vivons, la ressentons, l’établissons et la renforçons, jour après jour, à travers nos expériences.

Ce faisant, insensiblement ou abruptement, nous nous dévoilons aux autres, mais aussi à nous-même, à mesure que nous réagissons et rebondissons, tout en renforçant ou en atténuant ce que nous avons enregistré, intériorisé et légitimé lors de nos échanges antérieurs.

Dans le cadre de l’astrologie, nous nous manifestons d’emblée et sur plusieurs modes : sur une tonalité réactive pour le Bélier, sur une appétence sensorielle pour le Taureau, dans une démarche relationnelle pour les Gémeaux, etc.

Ensuite, viennent le processus et les composantes qui caractérisent le signe de la Balance et qui nous intéresseront plus particulièrement dans cette chronique.

Nous pourrions dire simplement que la Balance recherche l’entente, l’équilibre, l’adaptation, l’harmonie, etc. Ou encore qu’elle « signe » les unions, les contrats, les mariages …

Ce qui doit ici retenir notre attention, c’est de savoir en quoi notre propension à aller vers l’autre ou à nous éloigner de lui nous caractérise autant, sinon plus, que notre propre « for intérieur », tel qu’il se suffirait à lui-même .

Avec la Balance et le Secteur VII, une partie de notre « hégémonie »  est amortie du fait qu’il nous faut englober l’autre dans le champ de nos expériences, dès lors que nous nous construisons autant à partir de notre potentiel et de nos attentes qu’en réponse à « ce qui est autre en nous ».

Entrer dans l’existence, c’est voir l’incidence de l’autre en nous. Cet « autre » est certes très relatif. Il est aussi très partiel , puisqu’il correspond à un espace-temps, à un environnement, à un lieu particulier .

Or, le concept de l’« autre » s’applique aussi à l’infini, à l’absolu, au tout, au global.

Comment comprendre cela ?

Nous sommes forcément une infime partie de la totalité, à savoir de l’univers. Le fait de « venir au monde » nous contraint à devenir conscient de nous-même à mesure que nous nous découvrons réduit à l’espace-temps de notre vie ; ce qui revient à assumer le territoire limité et les circonstances « aléatoires » qui délimitent nos expériences.

Spirituellement, nous pouvons toutefois nous relier, d’une façon ou d’une autre, à la totalité ; alors qu’empiriquement et qu’objectivement, nous sommes tributaires d’une hérédité, d’un contexte social et d’un ADN psychique, ce qui ne manque pas de nous conditionner.

C’est comme si nous étions sur le toit d’un immeuble. Autour de nous, un environnement nous cerne de toute part. Pour changer d’immeuble et de point de vue, nous devrions pouvoir changer de corps, de parents et d’identité. Nous pouvons l’imaginer, voire le rêver. Mais pourquoi le ferions-nous, si c’est précisément le cadre délimité de notre venue au monde qui peut nous conduire à nous reconnaître et à nous assumer à chaque pas de notre vie ?

Dès lors que nous sommes singularisés à notre naissance, nous rebondissons  à tout ce qui vient vers nous et nous interpelle. C’est le point de départ d’une narration et par conséquent de notre histoire.

Désormais, nous nous situons « quelque part », ce qui nous conduit à nous considérer distinct d’autrui.

À cet égard, le monde est fait d’autant de centres qu’il y a de réalités constituées et, a fortiori, de personnes.

En cela le monde contribue à nous incarner, dès lors que nous disposons d’un corps (d’un territoire) et d’une sensorialité, là où se précise la frontière qui nous délimite. Puis, le monde nous fait venir au monde en imprimant un poids, non plus seulement physique, mais véritablement ontologique, à notre existence.

Cette incidence ontologique suscite parfois une angoisse existentielle. C’est le cas lorsque nous ressentons la vulnérabilité de notre incarnation dans un corps et dans une conscience. Car si, le plus souvent, nous sommes totalement engagés dans la réalité charnelle du monde (Taureau), nous pouvons aussi percevoir que le monde ne constitue pas « toute » la réalité. Nous pouvons alors détecter que notre emprise sur le monde est fragilisée au risque de s’effondrer. D’où, comme réponse ou réaction, le fait de déréaliser notre présence au monde (autisme et anorexie) ou de nous mettre systématiquement sur la défensive, par peur de tomber dans l’abîme (c’est la défiance paranoïde du Scorpion).

Tout cela nous fait prendre conscience que notre relation au monde et à l’autre n’est que le moyen et l’occasion pour accéder à notre propre moi, celui-ci n’étant lui-même qu’un outil pour cheminer vers notre être plus profond, plus subtil, plus universel…

Nous reconnaître et nous authentifier en tant que personne (Lion et Secteur V) ne peut avoir de sens que si nous comprenons que l’expérience du monde n’a d’autre but que de nous acheminer jusqu’au seuil où nous appréhendons en quoi nous sommes continûment dans l’articulation du transcendant (l’universel) et de l’immanent (nos propres expériences).

Là, se précise un miracle : celui de notre conscience en perpétuelle recherche de la clef qui ne peut ouvrir l’ultime serrure que si nous comprenons qu’il ne s’agit pas tant de « réussir dans la vie » que de réussir le processus qui nous éveille à ce qui nous dépasse et qui est recouvert par le premier degré des choses.

Ceci peut paraître complexe… J’userai donc d’une métaphore pour illustrer ce que je tente d’exprimer. En fait, peu de mots sont nécessaires pour le dire. Imaginons un musicien qui ne sait pas (pas encore) qu’il est musicien. Nous le voyons rencontrer un arbre. Voici qu’il l’entoure, le jauge, le mesure et puis lui demande de disposer de son bois. Dans ce bois, il sculpte un instrument de musique, un violon par exemple. Il apprend à en jouer. Il sait à présent qui il est : il est musicien. Progressivement, il connaît toutes les subtilités de son violon. Voici le moment pour lui d’interpréter une musique qui l’enchante, qui le dépasse, qui le projette dans un lointain qu’il ne soupçonnait pas.

Son ambition, au départ, était d’attester son identité de musicien. Il découvre que son intention n’était que le point de départ du geste musical qui le met en présence de ce qui lui appartient en propre et de ce qui ressort du monde et de l’autre… Jusqu’à ce qu’il arrache le masque de cette dualité pour approcher, en silence, non plus l’autre, mais le « Tout Autre », autant dire une certaine idée ou part d’absolu.


Jacques VANAISE

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

Sur le vif

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1 Je travaillais à l’époque dans une banque.

2 Il s’appelait César. Et donc, forcément, tout le monde l’appelait « Jules » ; moi excepté. Je l’ai toujours désigné par son prénom : François.

3 Je ne m’y suis jamais intéressé, ce qui me plaçait ‘déjà’ dans la position d’observateur de mes contemporains.

4 Peu importe de savoir si François était lui-même du signe de la Balance. Seule son attitude est prise ici en exemple pour introduire le propos de cette chronique.

5 On y reconnaîtra les particularités allouées au Secteur VII et auxquelles nous ne saurions arrêter notre analyse.

6 Une semence a beau disposer d’un « ADN », elle ne devient plante, fleur et fruit qu’à condition d’être sollicitée et nourrie par la terre, l’eau, la lumière, les nutriments…

7 Cf. le Lion et le Secteur V.

8 Et parfois, très partial.

  Ce qui nous renvoie à tout ce qui concerne notamment notre milieu familial, social, culturel.

 Cf. L’Ascendant et le Bélier : stimuli – réflexes


« Pour moi ! »

ou

« Contre les autres » ?