la Gazette des Astrologues

n°180 - Octobre 2019

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

20
ans

1996-2016

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“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

- Ça va pas le faire…

- Que voulez-vous dire, Monsieur ?

- Eh bien…  j’hésite, j’hésite…

- Mais, Monsieur, ces deux chemises vous vont très bien…

- Oui, je sais…  Mais, comprenez-vous, laquelle choisir ?  La bleue ou la rouge ?

- (…)

- Oh ! J’hésite, j’hésite…  Vous ne trouvez pas que la chemise rouge est un peu… provocante ?

- Peut-être, Monsieur…  Cela dépend du moment où vous la porterez…  

- Sans doute…  Mais, tout de même, vous ne m’aidez guère…

- C’est que d’autres clients attendent, Monsieur…

- Oh ! Je suis tellement désolé de vous retarder…  Mais j’hésite, comprenez-vous…  Si je choisis la bleue, je suis certain qu’à peine sorti de chez vous, je le regretterai… C’est que, voyez-vous, choisir…  c’est renoncer…

- Je ne vous saisis pas bien Monsieur…

- Mais si, vous me comprenez bien… !  Choisir, c’est renoncer à ce qu’on ne choisit pas…

- On ne peut tout avoir, Monsieur…  À moins que vous ne décidiez d’acheter ces deux chemises…  Voulez-vous que j’appelle ma collègue, elle pourrait vous donner son avis…

- Oh ! non ! surtout pas…  Imaginez qu’elle me dise que le vert ou le jaune me va mieux…  Ce serait encore pire…  Non non, restons-en là : la bleue ou la rouge…  Mais j’hésite…

- Voulez-vous me permettre, Monsieur, vous me faites penser à ma femme…

- À votre femme !?  Mais pourquoi ?

- Eh bien, Monsieur, seriez-vous du signe de la « Balance »…

- Euh…  Oui !  Comment l’avez-vous deviné ?

- Oh ! Juste parce que ma femme aussi ne parvient jamais à se décider…

- C’est tout de même normal de s’accorder un peu temps avant de choisir, non !?

- Certes, mais cela requiert une certaine patience, pour les autres, … sans vouloir vous désobliger, Monsieur…

- Mais vous ne m’obligez en rien…

- Désobliger, Monsieur, pas « obliger ». Quoi qu’il en soit, je dis volontiers à ma femme qu’elle doit s’exercer à faire des choix et cesser à faire constamment des concessions.

- Cela, je vous le concède.  Mais en fait, le plus difficile, comprenez-vous, c’est de savoir si nous hésitons parce que nous n’avons pas encore fixé notre propre choix ou parce que nous privilégions l’avis de l’autre.

- Eh bien, je vous ai donné mon avis : ces deux chemises vous vont très bien, je vous assure…

- Mais comment savoir si vous ne me dites pas cela pour me faire plaisir ou pour me voir partir avec ces deux chemises sous le bras...

- Et si vous y réfléchissiez… ? Je peux les mettre de côté et vous reviendriez demain…

- Vous voulez me torturer toute la nuit… !?  Non non, je dois sortir de ce dilemme.  Notre conversation me fait voir combien je suis constamment dans le souci de bien faire, de concéder, de faire des concessions si vous préférez…

- Mais rien ne nous vous y oblige…

- Ah ! vous pensez cela !? Vous savez, on croit généralement que les personnes « Balance » sont constamment dans la séduction et dans la recherche d’une compagnie.  Alors qu’en fa it, personnellement, je me sens souvent seul au milieu des autres… Ce n’est pas facile de trouver le parfait équilibre… J’ai étudié un peu la question… Vers le 1er octobre, le jour a fait la paix avec la nuit… : douze heures pour lui, douze heures pour elle…  Alors, ma chemise rouge pour la journée et la bleue pour la nuit… ?

- Eh bien, voilà, Monsieur, vous avez trouvé la réponse…  Je vous fais un seul emballage ou vous en préférez deux… ?

- Ne vous moquez pas… Je vais vous confier quelque chose…  Chaque matin, devant mon miroir, je me repose la même question : comment m’accorder au visage que je vois là, alors que tant d’autres regards, dans la journée, vont me toiser, me scruter, me juger… ?

- Enfin,  vous pensez vraiment que tout le monde vous observe à ce point ?

- J’ai tourné la question dans tous les sens : ce que nous voyons nous regarde en retour.  Surgit alors la question cruciale : cette personne braque les yeux sur moi…  C’est donc qu’elle me remarque et c’est déjà çà…  Mais, dans son for intérieur, que pense-t-elle ?

- Vous pouvez le lui demander…

- Impossible, le regard est parfois si fugace.  Rares sont les regards vraiment actifs, à savoir qui vous disent : « bonjour, je t’ai vu, tu existes… »

- Mais quand vous mettrez l’une ou l’autre de ces fameuses chemises, vous le sentirez bien que vous existez.  Vous ressentirez le contact du tissu sur vos épaules, vos bras, que sais-je moi…  Vous n’êtes tout de même pas un fantôme…

- En fait, c’est désolant d’être toujours entre deux chaises et de toujours vouloir adoucir les angles, réduire les distances, aplanir les désaccords… Ainsi, je vous retiens, voire je vous accapare, avec ce fichu dilemme.  Eh bien, lorsque je serai parti, je me poserai encore et encore la question de savoir ce que vous pensiez réellement.

- (…)

- J’envie les personnes passionnées.  Elles font des erreurs, elles se précipitent, mais elles choisissent, décident, vont de l’avant.  Moi, je n’ai vraiment la sensation d’exister et d’être accepté, voire même aimé, que si je trouve un écho ou un assentiment dans le regard des autres.  Oh ! Je me garde bien de fixer les gens les yeux dans les yeux, cela ne se fait que dans les cas extrêmes : amour ou conflit ; mais je suis tout retourné lorsque je constate que les gens ne se préoccupent pas de me rendre mon regard.

- Monsieur, notre conversation est intéressante, mais aussi un peu embarrassante.  Si j’en venais à vous fixer droit dans les yeux, vous penseriez que c’est parce que vous le désirez et pas parce que je le souhaite moi-même…

- Ne mêlez pas tout, il n’y a pas là-dedans une question de désir…  Parfois, je m’installe à deux pas de ma télévision.  Il y a là quantité de visages qui me regardent à travers l’écran.  Au cours du journal télévisé, par exemple…  Eh bien, vous savez quoi ?  Ces regards ont quelque chose d’unilatéral.  Ils ne me regardent pas, ils ne regardent personne… Les yeux du présentateur du JT sont dirigés sur moi ; mais, en fait, il lit un téléprompteur… Si bien que tous ces regards sont vides et n’attestent la présence de personne.

- Oh oh ! Je trouve que vous vous torturez un peu… Je ne savais pas que la vie des « Balances » était aussi complexe…  J’ignorais que la « Balance » ne se sentait vraiment exister qu’à condition d’être soutenue par le regard des autres.  Je pense que je regarderai ma femme autrement, ce soir, en rentrant à la maison…

- Oui et vous aurez bien entendu bien des choses à lui rencontrer, notamment tout ce temps perdu avec un client qui refusait de conclure son achat et de partir avec ses deux chemises sous le bras…

- (…)

- En définitive, je vais encore vous confier quelque chose : séduire, pour moi, ce n’est évidemment pas m’imposer à l’autre, c’est l’aider à se rapprocher de moi, tant il est vrai qu’il peut être tout aussi pudique que moi…  

- (…)

- Bon !  Finalement, je vais prendre la rouge…

- La rouge !?

- Oui, la chemise rouge…

- Ah ! oui ! J’avais un peu perdu le fil, excusez-moi.  Et pourquoi, soudain, la rouge ?

- Parce que je me souviens que, ce soir, je suis invité à une noce tzigane…  Je vous dois combien … ?


Jacques VANAISE

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

La Balance : les noces tziganes

Sur le vif

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