la Gazette des Astrologues

n°177 - Juillet 2019

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“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Il y a de cela une cinquantaine d’années, on pouvait penser qu’entrer dans l’ère du Verseau (et pour autant qu’on puisse en déterminer le début), c’était assurément découvrir un cycle favo-rable à l’expression libre de l’individu. C’était aussi compter sur le développement des nou-velles technologies. C’était par ailleurs constater autour de soi le déploiement des valeurs hu-manistes d’égalité, de liberté et de fraternité.

Autant de repères que nous nous plaisons à relier à la symbolique du Verseau, dispensateur des énergies nucléaires, des ondes hertziennes et autres révolutions dans le domaine des communi-cations et des échanges instantanés d’un bout à l’autre de la planète.

Je ne ferai pas ici l’inventaire de tout ce qui a changé autour de nous et que nous pourrions associer à la symbolique uranienne. Je consacrerai plus précisément cette chronique aux inter-rogations que pose la probabilité d’un nouveau statut accordé à l’individualité, à savoir à la personne singulière, dans son originalité et dans sa différence.

Sur le plan commercial et consumériste, une mise en alerte se dessine dès aujourd’hui et pose la question de savoir si, tout au moins dans la période de transition que nous vivons entre le temps des Poissons et l’ère du Verseau, cette transition nous apporte effectivement plus d’humanité et plus d’ouverture vers ce que nous pourrions appeler, toujours dans les valeurs uraniennes, la spécificité de chacun.

Cette singularité est au départ et pour chaque « nouvellement né » un potentiel qu’un environ-nement approprié doit reconnaître et valider.

Or, cette singularité tend parfois à devenir une valeur marchande, les moyens technologiques permettant de cibler rapidement, non pas notre ipséité toujours intéressante à valoriser, no-tamment par l’apport éducatif, mais nos préférences de consommation. Il en résulte, par exemple, que nous recevons des publicités de plus en plus « personnalisées », certaines mé-thodes de sollicitation ou de stimulation, par écrans interposés (et qui faisaient figure de « science-fiction » il y a encore une soixantaine d’années) étant aujourd’hui devenues la règle.

Ceci, déjà, fragilise notre souhait d’angéliser le temps du Verseau ; sous réserve que nous ne soyons sans doute et encore, comme indiqué plus haut, que dans un premier glissement vers l’utopie uranienne.

Mais revenons au statut de la personne singulière, sinon unique, que nous sommes tous / toutes et chacun(e).

L’un des effets de ce nouveau statut est de fragmenter le corps social.

À ce propos, nous pourrions considérer qu’il y a peu, dans la société traditionnelle, l’individu était défini par le groupe. Reconnaissons-y une illustration de la symbolique des Poissons. C’était la position sociale qui déterminait l’individu. Il lui était assigné, en quelque sorte, un rôle répondant aux besoins de la société. Et son chemin de vie était d’une certaine manière tracé par avance (ce qui souligne ici, comme à chaque stade du processus astrologique, l’incidence du signe opposé aux Poissons, celui de la Vierge).

Nous voici passés de ce modèle à un autre, centré sur l’individu. C’est quasiment un boulever-sement anthropologique qui n’est pas sans conséquence lorsqu’il signifie le repli sur soi.

Désormais, l’individu tisse son propre réseau en même temps qu’il est contraint de choisir seul (et prétendument de façon libre) ce qui lui convient dans nombre de domaines de sa vie : ses achats bien entendu (et j’ai évoqué le créneau de sollicitations singulières que cela représente pour le marché consumériste), mais aussi ce qui peut contribuer ou non à son avenir et ce qui peut nourrir ou non sa morale de vie.

Certes, l’identité de chacun existait depuis longtemps. Mais elle était assez régulièrement con-férée par la position sociale de l’individu. Voici que nous sommes invités à devenir chacun(e) maître de notre propre monde, de notre vie et de notre croissance.

Mais alors, comment parvenir encore à fédérer une collectivité, faite d’individus engagés dans des directions de plus en plus diverses et, comme on a pu le voir autour de mai 68, libérés des carcans qui les définissaient jusqu’alors ?

Désormais, sur Internet, chacun(e) peut créer son monde, développer et répandre ses idées, puis les changer et, si possible, les diffuser et trouver un public.

Or, cette nouvelle liberté est aussi le foyer d’une sorte de vide. Sans repère et sans « père », mais aussi sans garantie quant à son lendemain (notamment lorsque la technologie bouleverse le marché du travail), le petit moi individuel se sent perdu.

D’où son installation dans l’étape psychologique de l’adolescence, le mimétisme avec l’un ou l’autre modèle ou idole proposant son miroir aux alouettes… D’où aussi (et c’est plus grave) une grande effervescence quant aux rapports de force et de pouvoir, dès lors que le lien social se délite au point d’ouvrir la boîte de Pandore, celle où apparaît l’autre visage de l’utopie ura-nienne : la radicalisation des populismes.

Car si l’individu est un peu plus libre…, il n’en reste pas moins dans l’interrogation et la fragi-lité, notamment lorsqu’il lui manque l’assurance de son rôle social et lorsqu’il n’a plus la garan-tie des ressources (notamment) financières dont il a besoin.

Dans un tel état d’incertitude s’introduit le défi d’une seule protection possible qui consiste à réduire la surface de nos propres questionnements pour nous rallier à ce qui apparaît comme une nouvelle certitude. Tel est le lit des fondamentalismes qui semblent vouloir combler le vide laissé par les anciennes institutions soucieuses de fédérer, mais sans imposer.

Alors ? Qu’espérer ? Que souhaiter ? Sans doute d’adjoindre aux principes républicains de la liberté, de l’égalité et de la fraternité le non moins essentiel levier de la solidarité. Celle-ci en appelle à la sauvegarde du lien qui assemblait les membres d’un même corps ; tandis que la clé subtile du contrat social, au temps du Verseau, en appelle ou devrait idéalement en appe-ler à un nouveau projet humaniste susceptible de fédérer, non plus les rôles désignés par le système commun, mais les innombrables « points de vue » singuliers qui nous caractérisent et qui risquent de nous diviser.

Après tout, il est là et tout bonnement question de dessiner, dans le chatoiement de nos palettes de couleurs si diversifiées, l’arc-en-ciel d’un autre devenir.

Nous pourrions y ajouter un rêve, en tant qu’astrologues : susciter en chacun l’accomplissement libre de son propre dessein de vie, avec la détermination d’insérer sa pierre individuelle dans le travail commun. Ce qui revient à l’idée merveilleuse selon laquelle le monde, la vie, voire le cosmos a besoin de l’avènement de chacun(e) d’entre nous.

Mais le dire et le penser est une chose, l’observer dans les faits et rendre ce rêve possible en est une autre.

Au risque de répéter mon interrogation déjà formulée dans d’autres « Sur le vif » : serait-ce là « aussi » une part de notre responsabilité, en tant qu’astrologues… ? À savoir placer le levier de notre mission là où se précise la tâche de chacun : celle de s’accomplir, non dans l’attente d’une gratification centrée sur soi, mais dans un geste d’offrande.

Pussions-nous à travers notre travail d’écoute, de rencontre et de partage, au cours de nos con-sultations, oublier un moment les questions qui ne concernent que le cours immédiat de la vie, pour aider nos consultants à tenir dans le creux de leurs mains une graine puisée à la source de leur cœur.


Jacques VANAISE

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

L’arc-en-ciel d’un autre devenir...

Sur le vif

“...la probabilité d’un nouveau statut accordé à l’individualité, à savoir à la personne singulière, dans son originalité et dans sa différence”

“cette nouvelle liberté est aussi le foyer d’une sorte de vide”

“...adjoindre aux principes républicains de la liberté, de l’égalité et de la fraternité le non moins essentiel levier de la solidarité”

“...dessiner, dans le chatoiement de nos palettes de couleurs si diversifiées, l’arc-en-ciel d’un autre devenir”