l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°203 - Septembre 2021

Billet d’Humeur

Ivan
HÉRARD-RUDLOFF

L’écriture n’apaise pas. C’est le feu sur le feu.

Tous les hommes désirent naturellement savoir



Née le lundi 31 juillet 1967 à 00h30 à Rennes (France)1, Nina Bouraoui quitte les plages bretonnes pour les côtes méditerranéennes dès l’âge de deux mois : ses parents, un « couple mixte » composé d’un père algérien et d’une mère française, s’installent à Alger. Rachid est un haut fonctionnaire qui voyage beaucoup (l’archétype Soleil est conjoint Jupiter, au double trigone de Saturne, maître de IX et X), Maryvonne une grande lectrice qui reste auprès de ses filles (l’archétype Lune est en Taureau), Nina et sa sœur aînée (les Maisons III et IV liées en Cancer soulignent la tendresse de ce lien sororal), et leur transmet le goût du langage, des idées et de la liberté (Lune sextile Mercure2 et trigone Uranus). L’autrice connaît une enfance heureuse, affectueuse et confortable (la IV en Cancer, son maître en Taureau), baignée d’un soleil (la conjonction Soleil-Jupiter en Lion en IV est très à-propos) qui la sensibilisera et l’attachera à jamais à la nature (de nouveau la Lune, exaltée en Taureau) : « J’implore les arbres, les statues, les fontaines, je crois en la puissance de la beauté qui veille sur moi3 », écrit-elle au seuil de Tous les hommes désirent naturellement savoir, son dernier ouvrage autobiographique paru en 2018, la cinquantaine franchie. Un bref départ d’Alger à l’âge de 4 ans fut même vécu comme « une tragédie » : « la lumière, le parc, les arbres, l’odeur des fleurs et de la pluie sur la terre, la vie sauvage nous manquent ». Provisoirement « déracinée » de cette nature abondante, elle « imagine le tronc d’un arbre arraché de la terre et [se dit] que [sa famille vit] dans cet arbre ». Dès les premières années, les ressorts d’une imagination féconde se manifestent : Mercure en III (fort bien placé pour un futur écrivain), en Cancer, sextile Lune et trigone Neptune (la Lune et Neptune se trouvant en opposition sur la ligne d’horizon), tient le triangle énergétique, une clé pour comprendre l’univers romanesque en germe de Nina Bouraoui.

Ce mental si prompt à l’imagination (Mercure Cancer sextile Uranus) est également au cœur de l’évènement traumatique de son enfance, survenu l’année de ses 8 ans : l’agression de sa mère en pleine rue. Uranus, transitant en conjonction son Nœud Sud Scorpion puis son Mars Scorpion maître de XII, reproduit toutes les dissonances martiennes natales, le carré névralgique au Soleil en IV comme le double semi-carré à Uranus et Pluton en V : les Maisons les plus sentimentales subissent un électrochoc des plus angoissants. Loin d’attribuer la vision « de la robe déchirée, des crachats dans les cheveux, des traces de suie sur la peau » à un régime réaliste, l’autrice se représente l’attaque commise par la Bête du Gévaudan en personne, « un homme-bête pendu au cou de [s]a mère, la dévorant » ; « je viens de ce tréfonds », conclut-elle. Mental Cancer qui se traduira, en grandissant, moins par des romans de pure invention que par la sensibilité accrue dont sont imprégnés ses récits autobiographiques. Quant à l’évènement, il déterminera sa nature protectrice envers les êtres aimés (Soleil conjoint Jupiter en Lion) : « Plus tard, je m’infligerai le devoir de protéger toute femme du danger, même s’il n’existe pas » (devoir qui évoque Saturne, en aspect de ses deux maîtres comme de Mercure). L’opposition Lune-Neptune est bien indicatrice, non seulement du pôle imaginatif, mais de l’imaginaire maternel et féminin envahissant de Nina Bouraoui. Des traductions littérales de cet aspect fourmillent, qu’il s’agisse du « foulard imprégné du parfum » de sa mère (mettant aussi l’accent sur la Lune dans le signe olfactif du Taureau) ou de cette affirmation : « Toutes les chansons se raccordent aux mystères et aux paradoxes de ma mère » ; on lui doit d’ailleurs les paroles de « Celle qui m’a tout appris », la très belle chanson de Céline Dion sur ce « jeu de la vie » qu’est la filiation.

Enfant, Nina Bouraoui vibre tant à l’esthétisme des paysages qu’à la beauté des femmes : les amies de sa mère et de sa sœur, qui forment comme un gynécée ; parmi elles, l’artiste-peintre Baya, tout à fait représentative d’une Lune en Taureau en aspect de Neptune. La sensualité naturelle des baignades féminines dans les criques marque les prémices de son homosexualité autant que celles d’une écriture sensorielle : « Mon Algérie est poétique, hors réalité. Je n’ai jamais pu écrire sur les massacres ». C’est précisément le contexte national qui précipite son départ définitif d’Alger, en été 1981 : Uranus sextile lui-même a effectué son dernier passage au Descendant et se trouve à présent relayé par la Lune noire, opposée la Lune natale, maître de III et IV, suggérant coupure et changements (de domicile, d’entourage, d’école). Âgée de 14 ans, l’autrice ne rentrera jamais, laissant sa chambre en l’état et ses vêtements, carnets et autres cahiers derrière elle. Image saisissante d’un hémicycle de Saturne (la première opposition exacte a lieu en octobre), planète du dépouillement nécessaire. A l’évidence ce départ en hâte signe autant l’adieu à un pays que la fin de l’enfance, et son corollaire : « A 14 ans, je suis née une seconde fois », propos qui émanent d’un Nœud Sud Scorpion assorti d’un Pluton dominant. Il éclaire la nostalgie de la Lunaire Nina Bouraoui pour son enfance orientale, véritable Paradis perdu que seule l’écriture pourra raviver, de même que son fantasme d’un double resté en Algérie4 : autant de nouvelles illustrations d’un Mercure Cancer… Si les années algériennes sont révolues, de les écrire permet d’en redéployer à l’infini la « légende » : « Je me tiens entre mes terres, m’agrippant aux fleurs et aux ronces de mes souvenirs. Seule la mer relie les deux continents. Ma mémoire est photographique [Lune-Neptune]. Elle restitue la couleur et le grain de peau des corps qui se baignaient au large de Cherchell. Je ferme les yeux et je traverse Oran, Annaba, Constantine. Dans mes images rien n’a changé et rien ne changera. Je pourrais tracer sans me tromper le plan exact de l’appartement d’Alger, le couloir et les chambres, le salon et la bibliothèque (…). Je suis son architecte et son archéologue ». Nous reviendrons sur la métaphore de l’architecture ; quant à celle de l’archéologie familiale, elle est compréhensible venant d’une Plutonienne dotée d’un Soleil en IV attaché au patrimoine (sa manière Taureau), voire archiviste (sa manière Vierge). De l’enfance, Nina Bouraoui parle en entretien comme d’un « pays », et d’un thème qu’elle « occupe comme un territoire5 », vocabulaire d’ancrage typiquement Taureau. Un glissement intéressant pour signifier que l’écriture elle-même est devenue le pays de substitution de celle qui, en conséquence, diffère l’hypothétique retour sur ses terres enfantines6, préférant une fois de plus à la confrontation au réel le souvenir7 et la construction imaginaire. Autant de termes qu’il est d’usage d’attribuer à la Lune, a fortiori neptunisée.

A l’issue de quatre années d’expatriation en famille (à Abu Dhabi, Zürich) – où se rejoue la signification de Soleil-Jupiter en IV au double trigone de Saturne maître de IX –, Nina Bouraoui entame des études de droit à Paris à l’âge de 18 ans. Mais 1985 vaut surtout pour l’éveil à un monde nouveau, nocturne cette fois : le « Milieu des Filles », dont le Katmandou, boîte de nuit lesbienne, sera le décor premier. Seule dans la capitale, ses parents « installés dans l’un des émirats du Golfe persique », l’autrice voit là l’opportunité d’« occuper [s]on homosexualité comme on occupe un territoire » (la métaphore est réitérée) : en finir avec les méprises amicales-sentimentales de l’adolescence (que figure « Diane » dans son œuvre) et se confronter à la réalité de son identité amoureuse en allant « chez les spécialistes8 ». Le transit de conjonction de Pluton au Nœud Sud puis à Mars, tous deux Scorpion, reproduisant le double semi-carré de Mars à Uranus et Pluton en V, évoque en effet le désir devenu impérieux de vivre sa sexualité, ses pulsions, sa nature passionnée (Vénus conjoint Pluton en V ; Mars Scorpion semi-carré Pluton, maîtres de VII). Une homosexualité qu’il est toujours délicat d’identifier dans un thème, mais que l’on peut retrouver ici à la tonalité uranienne redondante de l’axe affectif V-XI : Uranus (conjoint Vénus, soit une Vénus uranisée) est à la fois locataire en V et propriétaire de la XI, et le maître de V (le Soleil) en aspect d’Uranus. D’ailleurs, avec un Soleil en Lion semi-carré Uranus en V, il était impossible qu’elle ne s’affirme pas dans sa différence. Saturne effectue pour sa part son dernier passage en opposition à la Lune, signe d’un chapitre familial qui se termine : « Quand je pense à [mes parents], je les perçois derrière une nappe de brouillard, affairés, dans une vie qui n’est plus la mienne ». Ce qui s’apparente à une émancipation ne se fait pas sans douleur : c’est le début de « la guerre contre [s]oi-même » que mène l’homosexuel.le ayant intériorisé le regard social. « On peut se surprendre à être homophobe en étant homosexuel », résume-t-elle en une formule choc, et en conséquence « souffr[ir] de [s]a propre homophobie ». Ses années d’initiation prendront la forme d’une double vie, cachée de tous, famille comme camarades d’université (elle l’entame aux retours conjoints du Nœud Nord et de la Lune noire en XII, ce qui abonde dans le sens du secret) ; une « délinquance sans commettre de délit » qui la conduit aux limites de la paranoïa (sa dissonance Soleil-Uranus l’y prédisposait) : « si je pouvais effacer mes empreintes, je le ferais » ; « je suis terrifiée à l’idée d’avoir été démasquée, de mériter une punition ». Cette période de « honte dont [elle a] honte » peut s’expliquer par les aspects de Saturne à Vénus (quinconce exact) et à Mercure (carré) : à la dépréciation de soi et de sa valeur de séduction (d’autant plus que Vénus, maître de l’Ascendant, est en V, Maison du narcissisme) s’ajoutent doutes, inquiétudes, peurs en tous genres. En particulier, Vénus maître de I et de VI en Vierge, conjoint Pluton en V et quinconce Saturne en XII peut éclairer la méfiance hygiéniste, en partie irrationnelle qui s’empare de l’autrice en ces « Années Sida ». Sa « hantise de la contamination » marquera l’apogée de son attitude autopunitive : « Je découvre avec le Sida un moyen de détruire la naissance de mon histoire avec Julia et peut-être toutes mes histoires à venir ». Années noires qui auront au moins permis à Nina Bouraoui, observatrice depuis le bar du « Kat », « d’apprend[re] son métier d’écrivain ». Si elle écrit au retour de ses virées nocturnes, c’est d’abord « pour [se] faire pardonner [s]on homosexualité et pour [s]e faire aimer » : pour remédier à la dissonance Vénus-Saturne qui la fait se croire indigne d’être aimée. Elle « rêve de livres-remparts et de reconnaissance ».


lire la suite sur le site d’Ivan Hérard-Rudloff…

_______________________

1 Source : Demande personnelle d’extrait d’acte de naissance sans filiation auprès de la mairie de Rennes. Délivré le 10 juillet 2020.

2 Sextile que le logiciel Zodiac n’a pas tracé, de même que ceux de Mercure à Vénus et Uranus, mais que j’ajoute dans mon propre dessin du thème.

3 Tous les hommes désirent naturellement savoir (JC Lattès, 2018). Par souci d’alléger le texte, toutes les citations ultérieures sont extraites de cet ouvrage, sauf mention contraire.

4 Notamment évoqué dans l’émission 21cm qui lui est consacrée (Canal+, 2020).

5 Émission La Grande librairie (France 5, 19 septembre 2018).

6 De même qu’elle « [s]’interroge souvent sur la personne qu’[elle aurait] pu être si [elle était] restée en Algérie », elle s’interroge « sur celle qu’[elle serait] si [elle] acceptai[t] d’y retourner ».

7 Parmi les trois sous-parties de Tous les hommes désirent naturellement savoir, on compte « Se souvenir », les deux autres se nommant « Savoir » et « Devenir ».

8 Émission On n’est pas couché (France 2, 29 septembre 2018).

Regard astrologique sur Nina Bouraoui

A l’appui d’extraits de romans et d’interventions audiovisuelles, un regard astrologique sur la vie et l’œuvre, entremêlées, de l’autrice Nina Bouraoui.

ivan.herard.rudloff@gmail.com

Thème de naissance de Nina Bouraoui

Née le 31 juillet 1967 à 00h30 à Rennes

Logiciel Zodiac, version 8.4, © André Vander Linden