l’Astro Gazette de la FDAF

n°194 - Décembre 2020

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Une amie astrologue et deux amis (qui ne sont pas astrologues) m’ont interrogé à propos de mon « Sur le vif » de novembre.

Trois réactions donc. J’ai envie d’ajouter : seulement ! Car je pensais que mon article était un peu provocateur et qu’il susciterait plus de commentaires.

Soit, je me fierai au vieil adage : « qui ne dit mot consent » ; ce qui est plus rassérénant qu’une éventuelle indifférence.

De quoi était-il question ? De l’instant tragique qui, lors de la décapitation de Samuel Paty, a réuni un exécuteur et sa victime. Et de voir audacieusement dans le barbare et le sacrifié les pièces juxtaposées d’un échiquier dont la responsabilité incombe au monde tel qu’il va. Et aussi de prendre de la hauteur pour observer comment le cours horizontal de nos errances croise, subitement, la verticalité d’un événement (1), d’un verdict, d’une sentence, d’un choc brutal.

Je n’ai recherché dans la carte astrologique de ce drame ni une explication ni une justification ; j’ai plutôt tenté de cerner et de comprendre ce que j’ai appelé « le moment archétypal » où se sont croisés deux destins, celui du bourreau et celui du supplicié.

Comme le souligne mon amie astrologue, ce moment archétypal est-il illustré par le thème du moment ; alors même qu’une multitude d’autres événements se sont produits simultanément dans le monde ?

Un bref examen de la carte astrologique du 16 octobre 2020 à 17H05 (Conflans-Sainte-Honorine) permet-il de légitimer l’atrocité de ce geste fou ? Sûrement pas, alors même que cette configuration illustre pourtant, assez bien, un moment extrême.

Par ailleurs, dans cette même chronique, j’indiquais combien il aurait été inconvenant de préfigurer la mort effroyable de Samuel Paty sur base de son thème natal (que je ne connaissais pas à ce moment-là ; il a été publié plus récemment par la FDAF (2)).  Selon moi, il est totalement inapproprié de prédire un tel événement tragique, à moins que de faire le pari d’un destin tracé par avance.

Bien d’autres événements ont eu lieu à cette date et à cette heure, disions-nous plus haut. De même, et pour autant que le thème natal de Samuel Paty soit annonciateur d’une mort violente (et ce n’est qu’une conjecture bien hardie), qu’est-il advenu de tous les natifs (et natives) venus au monde, eux aussi, le 18 septembre 1973 ?

Si je prends l’initiative de réfléchir à nouveau et avec vous à cette situation épouvantable, c’est parce qu’elle nous interpelle utilement à propos de ce qu’il nous plaît parfois d’appeler le « destin ».

En ce qui me concerne, j’ai enlevé une fois pour toutes de ma tête l’idée d’une relation de cause à effet entre le ciel et nous. En revanche, nous ne pouvons éviter de nous interroger : comment relier le temps universel, archétypal et symbolique à un fait ponctuel et, en ce qui concerne la décapitation de Samuel, désormais inscrit dans la mémoire collective ?

L’idée même d’une influence physique des planètes découle des postulats défendus par la physique newtonienne conventionnelle, pour laquelle la matière et l'énergie sont définies comme des réalités séparées et ne pouvant interagir entre elles. Ainsi, un corps fait de matière ne peut être influencé par les « champs » d'énergie générés par les planètes.

Or, la physique quantique souligne aujourd’hui que l’univers est une « singularité » composée essentiellement d'énergie. Chaque réalité dans le monde (tel que nous l’observons et le vivons) est le « produit » d’une interaction entre une structure fine et invisible, et la texture observable et mesurable des choses tangibles.

Ce qui importe là, plus que tout, c’est l’interaction entre les innombrables systèmes qui composent l’univers. Or, ce qui se passe entre eux est du domaine de l’information. Fondamentalement, la réalité n’est pas un assemblage d’atomes, mais un véritable réseau d’interactions et d’interdépendances. Le monde n’existe pas ; il inter – siste.

Sans nous attarder à ces questions complexes, et pour en revenir au propos de l’astrologie, nous avons coutume de saisir chaque naissance comme l’instant particulier où le continuum psychique propre à l’imaginaire (3) (ou à l’inconscient collectif) s’individualise par le fait qu’il interagit avec les phénomènes et les circonstances propres à la réalité du monde, mais aussi avec le champ quantique (et, en l’occurrence, gravitationnel) précédemment évoqué. On peut y voir une mise au diapason entre l’espace-temps propre à la naissance et le champ psychique susceptible d’animer l’enfant dans sa construction psychologique en tant que personne.

Ces quelques arguments peuvent paraître bien suspects à l’examen critique. Et pourtant, ils trouvent un écho dans cette citation d’Einstein : « Le champ est l'organisme régissant l'âme de la particule ». Ces mêmes considérations rejoignent aussi la nouvelle approche scientifique du Dr Bruce Lipton qui, par sa compréhension révolutionnaire de la biologie cellulaire, a mis en évidence les mécanismes par lesquels l’esprit contrôle les fonctions corporelles d’un individu.

Selon ce biologiste américain (mondialement connu pour ses travaux en épigénétique (4)), il y a lieu de remettre en cause le dogme de la biologie moléculaire. Selon lui, ce sont nos pensées et nos croyances qui gouvernent notre biologie, non notre hérédité…

Mais alors, que faire de cet esprit non entièrement subordonné à notre héritage biologique ? S’agit-il de l’inconscient collectif et de ses archétypes, tels que nous les reconnaissons dans le champ imaginaire de l’astrologie ? Faisons le pari que ce champ se déploie bien plus au niveau de notre subconscient qu’au sein de notre conscience habituelle.

Toutefois, si le rôle de cet imaginaire n’est pas totalement dépendant de notre hérédité, il ne peut (paradoxalement) s’exprimer qu’en interagissant avec notre bagage génétique (qui le personnalise) et avec les circonstances familiales et sociales (qui le contextualisent).

C’est ainsi que les faits sociaux et culturels (et, dans le cas de Samuel Paty, religieux et politiques) « produisent » des lieux de croisements ou de confrontations qui interagissent avec le « projet » singulier qui nous investit à la naissance ; ce projet étant doublement « signé » par notre propre part de l’imaginaire collectif (tel que mis en équation par notre thème de naissance) et par notre hérédité.

Pour en revenir au thème principal de cette chronique, j’ai proposé le mois dernier de voir, dans l’acte extrême de l’assassinat de Samuel Paty, la focalisation d’un état de fait, d’une ambiance. Mon audace a été de m’interroger plus avant : les antagonistes de ce drame sont-ils les agents de quelque chose qui les dépasse ?  

Ce qui revient à ne pas nous limiter au seul thème de Samuel Paty (ce que je n’ai d’ailleurs pas fait).

Nous sommes couramment et légitimement enclins à orienter nos études astrologiques comme si le cours des planètes régentait le petit point de l’espace-temps que nous occupons. Or, ne convient-il pas d’ausculter de façon plus subtile le rapport entre l’universel (le collectif) et le particulier (le singulier) ?

Je paraphraserai Confucius pour introduire la suite de cette chronique : « nous sommes frères (écrit-il) par la nature (par l’universel), mais étrangers par l’éducation (par nos expériences de vie).

Cela se précise formellement dans notre outil astrologique : nous utilisons une langue universelle (et symbolique) pour approcher le ciel intérieur particularisé en chacun d’entre nous.

Or, nous le savons, la carte n’est jamais le territoire. Ce qui nous met sur la voie d’une réponse à la question : pourquoi Samuel Paty et pas ses « jumeaux astrologiques » ?

Toute l’histoire de Samuel, le comment et le pourquoi de son engagement en tant que professeur pour instruire ses élèves quant à la liberté de juger, de comprendre et de critiquer, voilà assurément ce qui contextualise l’une ou l’autre donnée reconnaissable dans son thème astrologique, au point de focaliser sur lui ce qu’engendre, produit et provoque aujourd’hui la folie des hommes de par le monde.

D’où l’importance du contexte, à savoir des tenants et aboutissants qui éclairent (sans justifier) et qui rendent emblématique (sans endoctriner) une configuration astrale, alors même que nous ne sommes pas en mesure de « prédire » ses effets (ou résultats), au risque, sinon, d’attribuer aux astres un rôle déterminant. La subtilité de nos analyses astrologiques est qu’il nous faut sans cesse relier deux « puissances » d’arrangement ou d’organisation : le mandala céleste qui nous aide à donner du sens et l’ensemble des circonstances terrestres qui désignent le contexte particulier (et signifiant) d’une manifestation, d’un phénomène, d’un fait, d’une occurrence, d’un incident, d’un accident, d’une aventure, d’une crise, voire même…  d’un imprévu.

Considérons à présent ce que j’ai appelé le moment archétypal de l’agression sauvage dont Samuel Paty a été la victime.

À chaque instant, un état quantique englobe la totalité des phénomènes terrestres et des expériences humaines. Au moment de notre naissance, nous sommes « signés » par l’un de ces états à la fois quantique et psychique. Dès le premier jour, nous sommes toutefois en interaction avec le monde et notre parcours de vie sera l’une (parmi d’autres possibles) des manifestations ou incarnations de notre propre champ psychique virtuel.

En considérant un moment précis de notre voyage temporel, nous pouvons – à la fois rétroactivement et prospectivement – saisir comment (et pourquoi) nous avons actualisé notre potentiel dans une voie particulière. Celle-ci « nous ressemble », certes, mais elle aurait pu être différente, de même qu’une même partition de musique peut être interprétée autrement selon les choix du chef d’orchestre et la qualité des instrumentistes.

Alors, pourquoi Samuel Paty plutôt que l’un de ses jumeaux astrologiques ? Uniquement parce qu’il a mis son potentiel, ses talents et son caractère au service de son désir d’enseigner et, plus singulièrement, de professer la liberté de conscience ; ce qui est devenu intolérable pour son meurtrier.

Sur le plan astrologique et au moment d’examiner le moment archétypal de l’agression, il y a lieu de voir si cet instant est « à la ressemblance » du thème natal de Samuel. Or, si cet instant, d’une manière ou d’une autre, « lui ressemble », ce n’est pas en raison des seules données inscrites dans son thème natal, c’est aussi et sans doute bien plus en incidence avec son parcours et ses engagements.

J’ouvre encore une autre perspective de réflexion et de recherche : à chaque instant de notre vie, ce n’est pas la configuration astrologique du moment qui, de tout en haut, depuis le ciel, « signe » et provoque le cadre particulier de ce que nous sommes en train de vivre. Je pense au contraire que c’est notre ciel intime (tel qu’il s’est incarné dans un environnement et dans une histoire) qui résonne, vibre, retentit, au diapason d’une circonstance qui fait sens pour nous dans la mesure où elle nous ressemble, nous sollicite, nous conforte ou nous fait bifurquer.

Ceci peut paraître subtil. En fait, il s’agit d’un total renversement de notre rapport au ciel : ce ne sont pas les planètes qui décident, de tout là-haut, de notre destin, c’est notre dessein de vie qui se construit pas à pas, à mesure que notre vie intime se synchronise (ou non) avec une multitude de situations archétypales. Ainsi, plus simplement, ce n’est pas l’étoile du berger qui incite les Rois Mages à se mettre en route, c’est l’intention de ces Mages de se rendre à Bethléem qui leur fait reconnaître dans le ciel le signe qu’ils préfiguraient et auquel ils ont donné sens.

Ce qui revient à dire que notre marge de liberté se situe dans la connaissance de notre propre échiquier de vie. Selon ce que nous allons concrétiser (actualiser), année après année, en interaction constante avec notre environnement, nous incarnons sur un mode particulier, parmi beaucoup d’autres possibles, le potentiel inscrit dans notre carte de naissance.

Il en résulte que si nous reconnaissons, dans notre thème, notre partition initiale, c’est dans et par notre vie que nous montrons ce que nous en comprenons et ce que nous en faisons. Si bien qu’au moment d’observer la synchronicité (5) entre un moment archétypal (comme par exemple notre révolution solaire) et notre thème natal, cette co – incidence sera significative par rapport à la personne que nous sommes devenue.

C’est ce qui explique qu’un transit planétaire peut fort bien n’avoir aucune incidence sur nous. C’est notamment le cas lorsque nous n’avons pas (plus) à vivre l’actualisation d’un aspect de notre thème, dès lors que nous l’avons reconnu, vécu et assumé au cours de notre propre histoire.

En dernière analyse, nous générons progressivement, tout au fond de nous, un profil psychique qui découle à la fois de notre partition initiale et de nos expériences. Nous pouvons comparer ce processus à la création du peintre : il reçoit au départ une palette de couleur, mais il composera peu à peu sa propre gamme chromatique souvent reconnaissable dans ses toiles plus récentes.

C’est ce profil psychique et cette gamme chromatique, tels qu’ils ont évolué, qui modélisent notre façon très personnelle d’entrer en résonance avec une situation ou un événement et, à travers eux, plus globalement, avec le champ quantique propre au moment archétypal décrit tout au long de cette chronique.

Tout autre chose est de considérer l’impact d’une circonstance, d’un fait ou d’un agissement qui survient par hasard ou significativement sur notre parcours. Cela peut être l’incidence d’une catastrophe (6) ou d’un attentat : nous étions là et nous avons croisé la conséquence ponctuelle d’une série d’événements qui ne nous concernent pas directement ; à moins que cet incident ou accident ne fasse sens dans notre trajectoire de vie.

Ceci nous conduit à approfondir notre réflexion, en tant qu’astrologue, au moment de réunir (pour autant que nous décidions de le faire) le thème de naissance de Samuel Paty et la configuration de l’instant archétypal de son agression.  Si cet instant fait sens pour lui, ce n’est (une fois de plus) pas nécessairement en raison de sa carte natale, mais bien davantage sur la base de ce qu’il en a mis en œuvre et de ce qu’il représentait, en tant que professeur et promoteur de la liberté de conscience. Reste alors, en toute hypothèse, à connaître le thème astrologique de l’agresseur…

Qu’on me lise correctement : ces quelques réflexions théoriques ne sauraient en rien dédramatiser l’agression sauvage dont Samuel a été la victime. Elles mettent en exergue la délicate fonction de l’astrologue : certaines actualisations dans la réalité concrète et dans le cours des choses sont souvent plus le fait des hommes que la décision des astres.

En dernière analyse, faisons preuve de réserve dans l’usage de nos catalogues de prévisions.

Notre thème de naissance désigne bien entendu quelques-uns des germes que notre ciel intérieur nous fera porter en terre ; mais encore convient-il que nous n’oublions pas de compléter notre analyse par la prise en compte de ce qui est contingent dans la succession des carrefours, des choix, des décisions qui contribuent, finalement, eux aussi, à la qualité du moment archétypal inscrit bien plus dans le cours de l’histoire des hommes que dans la figure déterminante du ciel.

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

" Nous sommes tous Samuel Paty " (2)

Sur le vif

« Ce ne sont pas les planètes qui décident, de tout là-haut, de notre destin, c'est notre dessein de vie qui se construit pas à pas, à mesure que notre vie intime se synchronise (ou non) avec une multitude de situations archétypales. »

« Notre marge de liberté se situe dans la connaissance de notre propre échiquier de vie… »

« …un transit planétaire peut fort bien n'avoir aucune incidence sur nous. C'est notamment le cas lorsque nous n'avons pas (plus) à vivre l'actualisation d'un aspect de notre thème, dès lors que nous l'avons reconnu, vécu et assumé au cours de notre propre histoire.»

Jacques VANAISE

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(1) C'est précisément ce rapport à l'événement qui pose question dans notre pratique de l'astrologie : cet événement était-il prévisible ou était-il le fait du hasard ?

(2) FDAF : Fédération Des Astrologues Francophones.

(3) Précisons tout de suite que cet imaginaire n'a rien à voir avec l'imagination au sens courant du terme. Il y est bien plus question d'une métaphysique de l'imaginaire en tant que champ psychique. En cela, l'imaginaire rejoint l'imaginal d'Henri Corbin.

(4) L'épigénétique étudie les modifications qui interviennent dans l'expression de nos gènes au cours de notre vie, en raison de nos interactions constantes avec l'environnement.

(5) Caractère d'un événement symbolique qui se produit à un moment significatif dans la vie d'une personne.

(6) Je pense notamment au crash d'un avion, ce qui ne peut, astrologiquement parlant, être significatif pour chacun des passagers.