l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

« Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue » 2

« La fin de l’histoire ». Cette formule m’a longtemps intrigué. Comment concevoir une fin à l’histoire des hommes ? La fin de chacune de nos histoires personnelles est tout à fait certaine. Nous bourlinguons tous entre deux frontières définitives : notre naissance et notre mort. Mais l’histoire collective peut-elle s’achever ?

Lorsque j’étais étudiant (il y a de nombreuses années), je percevais l’histoire comme une succession de faits et de dates, de batailles et de pactes, de victoires et de défaites.

Aucune ligne directrice ne me paraissait s’en dégager. Cela était sans doute dû à la structure du cours ou aux obsessions des enseignants 3. Plus tard, j’ai perçu progressivement l’enchaînement des faits historiques et la portée qu’ils prenaient lorsqu’on les reliait à la genèse des cultures et des civilisations.

L’astrologie contribua certainement à ma découverte de cette perspective. Les civilisations apparaissent et meurent ; et les étapes intervenant dans la genèse des faits historiques sont à considérer sous un angle plus global.

En astrologie dite « mondiale », nous sommes enclins à relier les événements aux cycles planétaires. Personnellement, je ne pense pas que les aspects entre les planètes lentes (puisque c’est leurs inter cycles qui sont étudiés dans ce domaine) produisent les guerres, les décisions politiques, les renversements de pouvoir et les pandémies. Le ciel propose et l’homme dispose.

Je conçois plutôt une mise en œuvre d’étapes utiles au déploiement de l’imaginaire collectif. Or, l’humanité s’investit le plus souvent en périphérie, dans le degré immédiat des choses ; ce qui nous conduit collectivement à ne pas saisir ce qui est « dans l’air du temps » 4.

Les chocs et les soubresauts observés dans le cours de l’histoire ne sont évidemment pas prédéterminés en tant que tels. Dans notre vie personnelle, nous sommes à la merci de circonstances qui ne font pas nécessairement sens pour nous ou qui ne correspondent pas à nos aspirations profondes, connues ou ignorées. De leur côté, les sociétés humaines sont régulièrement en retard par rapport à ce qui devrait constituer de nouvelles étapes dans l’avènement progressif de notre part collective d’humanité. Il en résulte que les événements sont souvent bien plus à notre ressemblance qu’à celle des configurations astrales…

Le ciel, pourtant, met en lumière la nécessité de transitions, de basculements, voire d’apocalypses 5 ; alors que nous, les hommes, restons assujettis à l’écume des jours 6, retardataires de quelques cases ou décennies, et donnant la priorité à des disputes de palier…

Mais revenons à cette formule indiquant « la fin de l’histoire ».

En saisir la portée suppose de nous emparer du mot « histoire » pour lui donner sens au cœur même de l’aventure humaine.

En tant qu’astrologues, nous sommes (je pense) surtout intéressés par les finalités du devenir historique. D’où notre intérêt pour un processus opérant depuis l'Antiquité jusqu’à l'époque contemporaine. Cette élaboration présume que l'histoire n'est pas le fruit du hasard, de l'imprévu, voire du chaos ; mais qu'elle est (ou serait) la mise en œuvre d’un dessein, qu’il se réalise de façon cyclique ou linéaire, et que les futurologues et les mythologues 7 tentent de comprendre et de décrire.

Jusqu’au siècle des Lumières, nombre de cultures pensaient que le cours et le sens de l'histoire étaient fixés « de l'extérieur », notamment par « la Providence ». En ce qui nous concerne, cela correspond assez bien à une détermination stricte (erronée et désormais dépassée) des astres sur le déroulement de notre parcours de vie.

Ensuite, au 18e siècle, la finalité de l’histoire n’est plus transcendante, mais immanente. Ce sont les hommes eux-mêmes, gouvernés par leur raison et soucieux de s’assigner des objectifs, qui catalysent le sens des faits historiques.

Au 19e siècle, plusieurs courants philosophiques (parmi lesquels la phénoménologie 8 de Hegel et le matérialisme historique de Marx) conduisent à penser que les événements historiques sont déterminés, non par des idées, mais par les rapports sociaux et par l'impact des faits économiques sur la transformation du monde.

Au 20e siècle, un nouveau concept se développe : celui de la postmodernité. Il y est question de remédier au désenchantement du monde, après le délitement des repères culturels et des certitudes religieuses, sous l’effet du relativisme dû aux sciences et de la remise en cause de l’idée même de progrès, l'humanité étant confrontée aux faillites écologiques, aux emballements économiques, aux ruptures sociales et à l'échec des utopies révolutionnaires.

Or, la question qui se pose à nous, en tant qu’astrologues, est de situer dans ces différents courants de pensée le rôle de l’imaginaire, celui-là même qui sous-tend le déploiement de la psyché collective 9.

Le crédit accordé à l’imaginaire ouvre une autre perspective : ce sont les forces de l’esprit qui gouvernent (ou qui devraient gouverner) l’humanité et non les forces matérielles. Il en résulte que nous ne sommes (que nous devrions être) qu’indirectement les produits des circonstances historiques.

Les faits de l’histoire témoignent d’une combinaison. Les événements se succèdent en tant que conséquences de faits antérieurs et que mise en situation de nos attentes. L’évolution des mœurs et des techniques y joue un rôle important, de même que les rapports de force entre les cultures et les États. Quant aux hommes eux-mêmes, ils découvrent dans le miroir du monde ce qui préfigure et concrétise leur dessein collectif, en tant qu’humanité.

C’est précisément par rapport à cela que le postulat d’une « fin de l'Histoire » peut nous interpeller, en ceci que cette fin présuppose un critère d'arrêt et indique que l'histoire ne serait en rien cyclique et qu’elle serait parvenue à l’ultime séquence de son destin.

Cette sorte d’échéance se caractérise, selon Fukuyama 10, par le triomphe définitif du libéralisme démocratique « comme forme finale du gouvernement humain ». On y reconnaît l’économie de marché, le système parlementaire et les libertés individuelles. Si bien qu’on serait tenté de penser que la « Terre promise » est atteinte.

En somme, ce que la fin de l’histoire nous annonce pour les siècles prochains, c’est « que l’humanité aurait atteint le havre d’une idéologie uniforme, installée, immobile ; à hauteur non pas des agitations de surface, mais des doctrines et des mentalités ».

Autant dire que l'électrocardiogramme de la vie des hommes en collectivité serait plat, définitivement.

Or, se limiter à ce diagnostic, c’est ignorer la résistance des sociétés (dites traditionnelles 11) aux effets des progrès scientifiques et c’est se désintéresser des inégalités entre régions du globe qui, pour contemporaines qu’elles soient les uns par rapport aux autres, présentent des situations économiques et des aspirations culturelles et religieuses très différentes, voire conflictuelles.

En tant que perspective historique, « la fin de l’histoire » préconise une ère nouvelle fondée sur la liberté. Précisons que c’est surtout celle du libre marché sans entrave, à savoir débarrassée des obstacles protectionnistes et des contrôles étatiques.

Voilà ce qui est dans « l’air du temps » : une doctrine économique dominante, le libre marché bénéficiant surtout aux réseaux bancaires, aux fonds de pension et aux grandes multinationales. Avec pour corollaire la prédation, les destructions et le pillage des ressources naturelles, la dégradation et la négation des droits sociaux. Avec aussi pour conséquences le triomphe de l’économie-monde dont les priorités sont la croissance accélérée des profits, sans états d’âme.

Face à cela, que penser, qu’inventer, que faire, si ce n’est la remise en œuvre d’un autre imaginaire susceptible de réanimer notre destin collectif, fondé sur une autre logique ?

Au cœur même de notre métier d’astrologue, nous cohabitons sans cesse avec la dimension subtile de l’imaginaire propre à la psyché en constante évolution.

Nous ne pouvons rester indifférents à l’idée d’un monde considéré comme un seul bloc et régi par un ordre économique qui aurait réussi à tout homogénéiser. Une autre option réclame un éveil en vue de favoriser la juxtaposition et la complémentarité de multiples et différents systèmes de pensée.

Mais ce n’est pas ici le lieu de résoudre la quadrature du cercle…

Je conclurai donc (provisoirement ?) cette réflexion en soulignant qu’au diapason de notre expérience de la réalité humaine, ce n’est à l’aune ni de l’économie ni de l’histoire qu’il convient d’évaluer le dessein des hommes, mais sur la toile de fond de l’univers entier et de la psyché qui s’en inspire.

Tel est l’angle d’attaque : puiser dans nos aspirations les plus diverses l’inspiration et la créativité qui nous permettront de transformer le monde, de sorte que, par ricochet, le monde nous interpelle et nous sollicite autrement dans notre (si mystérieuse) part d’humanité toujours en devenir…

Jacques VANAISE

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

La fin de l’histoire  1

Sur le vif

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1 « La fin de l’histoire et le dernier homme », Francis Fukuyama, Flammarion 1992.

2 Citation attribuée à Victor Hugo.

3 L’un d’entre eux organisait l’entièreté de son programme sur le siècle de Louis XIV.

4 À moins que de considérer les modes vestimentaires et les prescrits publicitaires…

5 Dans le sens de révélations.

6 « Le plus clair de mon temps, je le passe à l’obscurcir », Boris Vian, 1947.

7 Je pense notamment à l’œuvre magistrale de Jean-Charles Pichon avec qui j’ai eu l’opportunité de travailler en séminaire.

8 Il y est question de la relation phénoménale du sujet à l’objet. C’est cette relation qui nourrit la conscience. Ce postulat est assez proche de notre conception actuelle de l’astrologie : nos expériences se développent sur la zone frontière où le sujet que nous sommes se découvre et se réalise en interaction constante avec les autres et avec le monde.

9 Et aussi, j’en suis de plus en plus persuadé, quantique ; mais ceci est une autre histoire…

10 Ibid.

11 De même que, pour certains astrologues, l’ancienne théorie d’une relation déterministe au ciel ne devrait en rien être réévaluée, alors que (pourtant) la psychologie et la physique quantique nous offrent de nouvelles et enrichissantes perspectives.

« l’humanité s’investit le plus souvent en périphérie, dans le degré immédiat des choses… »

« La question qui se pose à nous, en tant qu’astrologues, est de situer dans ces différents courants de pensée le rôle de l’imaginaire… »

« Inventer un autre imaginaire susceptible de réanimer notre destin collectif… »