l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°207 - Janvier 2022

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Nous voici au commencement d’une nouvelle année 1. C’est l’occasion de vous souhaiter, à chacune et chacun, le meilleur, dans tous les domaines qui vous tiennent à cœur.


Cela étant fait, je consacre cette 59e chronique au thème du « commencement » 2.

Dans le cadre de l’astrologie, deux pistes s’offrent à nous pour considérer le commencement : le tout début de l’univers et le seuil de notre propre vie.

Existe-t-il un lien entre ces deux moments si particuliers où un véritable événement se produit : l’origine du monde et nos premiers échanges 3 avec lui ?

Dans les deux cas, il est question d’un passage, d’un déclic, qu’il s’agisse (estime-t-on généralement) du big bang ou du début de notre parcours personnel.

Or, ces deux commencements (une fraction infinitésimale de temps en ce qui concerne le début de l’univers) sont bien différents, pour la simple raison qu’au tout premier instant le monde est passé du vide au plein, du néant à l’existence ; tandis qu’au moment de notre « venue au monde », nous n’émergeons pas d’un hypothétique néant, nous sommes le produit de plusieurs héritages.

À l’ultime commencement de tout ce qui existe, on conçoit un zéro absolu. Au moment où nous entreprenons notre parcours de vie, nous sommes (déjà) habités et conditionnés par tout ce qui nous a précédés.

Ce qui revient à dire qu’au commencement de l’univers, tout est libre et possible. Mais cette liberté originelle est toute relative, puisque l’univers est tout d’abord sans expériences, sans mémoire et sans règles 4, à l’exception des quatre lois fondamentales (dont la force de gravitation, essentielle dans le cadre de l’astrologie puisqu’elle génère les rythmes, les alternances et les cycles). C’est ensuite et ensuite seulement que l’évolution élabore des phénomènes de plus en plus complexes, grâce à l’enregistrement, à l’archivage, à la mémoire.

Par contre, dès le début de notre vie, nous bénéficions d’une grande et double expérience : celle de l’évolution biologique et celle de la mémoire collective. Ce faisant, nous sommes, dans une certaine mesure, déterminés 5. D’où la perspective du travail astrologique : observer et comprendre ce dont nous sommes « faits », pour reconnaître nos propres outils et pour les manier en vue de nous accomplir.

« Au commencement », nous disent nombre de traditions, il y a le souffle, ou le Verbe, ou l’Être de l’univers. Ces notions sont à considérer à l’opposé de la matière. Quant au moment de notre naissance, nous sommes un sujet en puissance ; sujet qui serait sans objet s’il ne rencontrait le monde et s’il n’interagissait avec lui.

L’Être de l’univers est initialement infini dans son rayonnement cosmique. À l’inverse, nous expérimentons la réalité du monde sur le bord très local et très relatif d’une frontière délimitée par notre peau 6, par la zone de nos contacts avec les autres et par le lieu limitrophe de nos premiers pas : notre foyer, notre refuge, notre maison. Ce qui nous circonscrit dans un espace-temps à partir duquel nous forgeons, par étapes, notre personnalité consciente. Personnalité à son tour très lacunaire, puisqu’elle n’est elle-même que le vêtement provisoire d’un processus bien plus subtil, à savoir l’émergence de notre intérêt pour l’infini de l’univers et le mystère de son avènement 7.

Revenons à l’ultime commencement.

Par-delà cette extrémité, il est (physiquement et philosophiquement) question d’un « en-deçà » 8. De ce côté-ci de la réalité, lorsque nous entrons en scène, au moment de naître, nous sommes le produit de quelque chose d’antérieur. Nous sommes, en quelque manière, anticipés par toute l’histoire des hommes. C’est cet acquis que (dans le théâtre shakespearien de la vie) nous sommes diversement amenés à remettre en jeu.

Considérons l’en-deçà de l’univers ; bien qu’il soit bien hasardeux de l’approcher.

Comment en parler, alors même que les mots nous manquent pour appréhender (philosophiquement) cet ultime mystère ?

Sur ce seuil bien plus singulier que celui de notre naissance, entre l’avant et l’après, se pose la question la plus universelle qui soit : « pourquoi un monde plutôt que rien ? »

Pour répondre au grand mystère des origines, les hommes ont imaginé (et donc mis en images) une virtualité qui, dans son essence, est (serait) antérieure à tout ce qui existe (rappelons ici qu’exister (ex – sistere) c’est être « au-dehors »).

Cette antériorité est bien plus prégnante en ce qui nous concerne qu’à l’ultime commencement. Dans le cadre de l’astrologie, nous présupposons en effet le rôle d’un imaginaire sédimenté et très actif au moment de notre naissance ; si actif qu’il nous prédispose à rencontrer le monde et à interagir avec lui.

En ce qui concerne le commencement de l’univers, son « en-dedans » ou son Être (en attente d’ex -sister) est de l’ordre de l’essence. Or, le seul mot « Être » est très complexe et très subtil. En effet, le mot ou le verbe « être » désigne pour nous, ordinairement, un état auquel nous sommes habitués à adjoindre des attributs et des compléments circonstanciels de lieu et de temps. Nous sommes continûment « ceci » ou « cela ». De fait, nous ne cessons de conjuguer le verbe « être » au passé, au présent et au futur, dès lors que nous sommes à la fois mémoire, transition et devenir.

Tout à l’opposé, le concept d’un Être originel présuppose qu’il est sans état. Il est censé « être », alors même qu’il est absent, puisqu’il correspond à quelque chose d’infiniment virtuel.

Relevons que notre thème de naissance désigne, lui aussi, au départ, une personne virtuelle. À ceci près que si nous pouvons, à propos de nous, parler de « virtualité », ce n’est pas dans le sens d’une éventualité ou d’une hypothèse, mais dans la perspective d’un potentiel qui (je le souligne à nouveau) se révèle à mesure que nous prenons conscience du monde et de nos interactions avec lui (d’où le concept de l’inter – sistence sur lequel j’aime insister).

À l’inverse, l’Être originel n’est pas censé interagir avec un monde « déjà là ». En physique quantique, cet Être virtuel est proche de la conception d’une singularité absolue, celle du point zéro originel. Constatons tout de suite qu’en psychologie et qu’en astrologie, la singularité est le fait, pour un potentiel psychique qui deviendra une personne, d'être spécifique, particulier, individuel ou encore unique.

Comment justifier le fait que nous soyons uniques ? En ceci que nous sommes le produit d’un lieu et d’un instant de convergence et d’émergence, dans la combinaison de nos héritages (biologiques, sociaux et culturels), de nos expériences personnelles, de nos relations au monde (qui ne cesse de changer et de présenter un nouveau visage) et, enfin, de nos prises de conscience. À la manière de l’œuf  pour la mayonnaise, tout cela cristallise, au fond du creuset de notre vie, notre personne singulière, différente, unique.

Or, et ceci mérite toute notre attention, seul l’Être originel et virtuel de l’univers est unique. En revanche, nous ne pouvons dire, à propos de chacun d’entre nous, que nous sommes uniques dans l’absolu. Nous ne sommes pas uniques dans notre être, nous sommes uniques dans notre façon singulière d’être au monde.

Il en résulte que nous sommes, individuellement, à la fois un destin organique et un point de vue.

Être un destin organique veut dire que nous venons de la terre, que nous venons de la matière, que nous sommes les produits de l’évolution. Nous émergeons progressivement en tant qu’êtres vivants, qu’êtres conscients et que personnes.

L’être - sujet que nous sommes se profile à partir d’un univers physico-chimique qui, en soi, ignore la subjectivité, alors même que c’est elle qui nous établit dans le monde en tant que personne.

Nous sommes le produit d’un subtil agencement où se mêlent notre détermination génétique et les données de notre environnement. Mais, en tant que sujet conscient, nous dépassons le niveau de nos possibilités physiologiques et nous nous délions (en partie) de l’emprise de notre milieu, notamment lorsque nous inventons nos propres buts. Car, par-delà le rôle strict de nos aptitudes physiologiques et des apports de notre environnement social et de notre culture, nous n’avons de cesse, chacun, d’accomplir notre personnalité.

À ce titre, nous ne saurions être réellement « en et par nous-mêmes », comme l’est le point focal où tout commence, au début de l’univers. Nous émergeons obligatoirement à partir de toutes nos déterminations génétiques, biologiques, sociales et culturelles.

Pour que nous puissions dire qu’en tant que personne nous sommes déliés de tout ce qui existe, de tout ce qui nous a précédés et de tout ce qui nous entoure, il conviendrait que nous n’ayons besoin que de nous-mêmes pour être.

Tout au contraire, nous sommes l'effet que cela fait, pour un organisme, d'être ce qu'il est sur base de l’expérimentation du monde qui lui est obligatoirement extérieur et non intrinsèque. D’où le caractère subjectif et terriblement relatif, instable et provisoire de nos expériences. Ce qui nous caractérise ainsi, c’est donc tout au plus un point de vue.

À la surface d’un lac, chaque goutte d’eau se trouve « quelque part ». En chaque goutte d’eau se précisent un contenu et un contenant, un endroit et un envers, à savoir la molécule d’eau et la masse liquide du lac.

Nous aussi, individuellement, nous occupons un « point de vue » sur la frontière du monde, là où nous prenons contact avec la réalité.

Ce qui est intéressant à considérer, c’est que l’Être originel paraît se diffuser dans l’infini 9 comme pour tenter de jaillir en chaque point posé sur la trame de l’univers. En comparaison, le point singulier de notre rapport au monde n’est qu’un grain dans l’immensité.

Considérons que, de l’immensément grand à l’extraordinairement petit, le rapport est et reste terriblement mystérieux. Il relie le très proche et l’extraordinairement lointain, l’instant éphémère et l’éternité, non sans rappeler que l’éternité n’est qu’un artifice, puisque seule la mémoire intronise l’accumulation des instants différenciés sur la ligne du temps par le prodige du changement, puisqu’il y a changement et passage d’un instant à l’autre, de sorte que ce qui est virtuel puisse s’accomplir dans sa totalité…

Quoi qu’il en soit, nous occupons objectivement (en tant que corps et matière) et subjectivement (en tant que sujet) le centre extrêmement relatif vers lequel convergent, de proche en proche, toutes les informations contenues dans le monde en écho aux images et aux archétypes engrammés 10 dans la psyché que nous recevons en héritage.

Mais comment savoir qui, du contenant ou du contenu, détermine l’autre ?

À l’image de la relation qui existe entre un vase et l’eau qu’il contient, nous sommes un creux qui se remplit au gré des informations qui nous parviennent. Mais nous sommes aussi un noyau intégrateur qui reçoit, interprète et organise le flux constant de ces informations.

Sur cette frontière et à chaque instant, nous faisons l’expérience d’une certaine manière d’être. C’est pour comprendre cela que nous exerçons le rôle libérateur de l’astrologie.

Qu’en résulte-t-il ? Que l’astrologie ne peut nous enfermer dans le destin organique dont il était question plus haut. Elle doit au contraire nous parler de l’imaginaire qui suscite en nous l’aspiration à une autre réalité, à l’opposé d’un investissement superficiel dans le monde. Cet imaginaire est la partition de notre mise en œuvre en tant qu’être singulier. À ce titre, rencontrer, décrypter et comprendre l’échiquier astrologique de notre propre part de l’imaginaire collectif, c’est commencer à jouer notre partition à la manière d’un metteur en scène, d’un chef d’orchestre, d’une personne consciente d’elle-même.

Où tout cela nous conduit-il ?

L’Être originel et virtuel est un « ceci et maintenant » intemporel, sans la moindre trace d’objectivité. Il est essence et, en cela, il est antérieur à sa propre présence.

Pour notre part, et grâce à l’héritage de l’imaginaire qui « prend corps » en nous, nous tentons, vaille que vaille, de nous concevoir dans la verticalité qui nous relie à cette origine.

Simultanément et par le jeu de l’incarnation (de même qu’on incarne un personnage au théâtre), nous sommes le produit d’une évolution qui a pris place dans l’environnement du système solaire et qui s’est étalée sur des centaines de millions d’années 11. Cette « entrée en matière » se déploie dans l’horizontalité.

Nous voici donc « cloués » sur la croix d’un ultime mystère. Pris dans le tourbillon de nos occupations quotidiennes, nous n’y pensons pas souvent. Même nous, dans le cadre de l’astrologie, nous cernons avant tout ce qui nous ancre dans le prosaïque. À moins que nous ne nous interrogions plus subtilement, à l’écart des réponses périphériques 12 qui découlent de nos expériences factuelles. Et de songer alors à ce qui nous relie à l’infini, par-delà le champ gravitationnel du système solaire, petite banlieue toute relative au regard du grand univers.

À l’instant originel, au tout début de l’univers, fait alors écho le prodige de notre conscience.

Y songer, c’est rechercher le passe-partout qui permet d’ouvrir l’ultime serrure. Et de saisir qu’il ne s’agit pas seulement de comprendre ce dont nous sommes faits, cernés de toutes parts par le monde et ses objets, mais aussi de nous éveiller, un tant soit peu, à ce qui nous dépasse et qui est recouvert par le premier degré des choses.

Tel est notre lot, jusqu’à ce que nous parvenions à lâcher prise, à cesser de désirer, de consommer, de faire, pour arrêter tout rapport utilitaire avec l’univers, pour nous laisser traverser et agir par son infini projet et son incommensurable mystère…


Jacques VANAISE

Pour tout contact et réaction:
jacques.vanaise@skynet.be

Sur le vif

Au commencement…

Illustration de « 2001, l’odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick – 1968

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1 Le début du cycle annuel devrait plus logiquement être fixé au solstice d’hiver…

2 Chaque seconde, quelque chose commence, bien évidemment.

3 Considérons qu’avant la naissance, notre rapport au monde est indéfinissable, dans la mesure où nous sommes dans une relation fusionnelle avec tout ce que nous ressentons et tout ce qui nous parvient.

4 Relevons toutefois que certains astrophysiciens font l’hypothèse qu'un Univers similaire au nôtre existait avant lui et qu’il serait à l'origine de nos galaxies. Notre Univers ne serait toutefois pas une réplique exacte de son jumeau : il a ou il aurait une histoire différente.

5 « Déterminé »… Le mot est évidemment connoté dans le sens d’une relation de cause à effet « inéluctable ». Mais n’oublions pas l’autre sens du mot : être déterminé, c’est aussi être décidé, résolu et motivé. Par ailleurs, lorsque le même terme se rapproche de « délimité », il évoque, selon moi et par comparaison, un principe biologique : l’apoptose. Il s’agit d’un processus par lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal. Ceci mérite une courte réflexion : choisir, c’est renoncer. En astrologie, nous présupposons que certaines circonstances peuvent nous conditionner au point de « délimiter » notre marge de manœuvre, avec pour résultat que certaines portes nous seraient fermées « a priori ». Plutôt que la bouteille à moitié vide, considérons plutôt la bouteille à moitié pleine. Ce qui revient à observer que la fermeture de certaines voies de développement psychologique pourrait, tout aussi bien, résulter de la prégnance, en nous, d’un besoin impérieux : celui d’exprimer, par-delà nos déterminants génétiques et nos déterminations sociales et culturelles, celui (celle) que nous sommes virtuellement, en puissance.

6 Notre épiderme est relié symboliquement à Saturne, celui-ci (pour les anciens) délimitant et fermant le système solaire, tel qu’il était connu autrefois. Dans les deux cas, il est question d’une délimitation.

7 La boucle serait-elle ainsi bouclée… ?

8 Cet « en-deçà » n’a rien à voir avec « l’au-delà » supposé répondre à nos préoccupations quant au double seuil de la vie et de la mort.

9 Le phénomène d'intrication est l'un des phénomènes les plus troublants en mécanique quantique. Ce prodige est au cœur de discussions philosophiques. Il remet en cause le principe de localité. L’intrication quantique se produit lorsque deux particules sont inextricablement liées, quels que soient la distance ou les obstacles qui les séparent l’une de l’autre. Bien que ces particules ne soient pas physiquement connectées, elles peuvent partager instantanément des informations les unes avec les autres. Ainsi, l’observation de l’une des particules peut fournir automatiquement des informations sur les autres particules qui lui sont intriquées.

10 Pour reprendre le terme utilisé par Jung.

11 En nous limitant à considérer l’apparition et l’évolution de la vie biologique, puis psychique, sur la terre.

12 C’est la société du spectacle, considéraient les situationnistes.

« nous n’émergeons pas d’un hypothétique néant, nous sommes le produit de plusieurs héritages. »

« nous ne cessons de conjuguer le verbe « être » au passé, au présent et au futur, dès lors que nous sommes à la fois mémoire, transition et devenir. »

« nous sommes, individuellement, à la fois un destin organique et un point de vue. »

« À l’instant originel, au tout début de l’univers, fait alors écho le prodige de notre conscience. »