l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°206 - Décembre 2021

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

« Mille sabords ! Tonnerre de Brest ! Ma femme m’a quitté, mon fils se drogue et le contrôleur des contributions me pourchasse… Alors, Monsieur l’Astrologue, comment expliquez-vous tout cela ? »

« Eh bien voilà, c’est karmique ! Dans une autre vie (et votre Vénus rétrograde le précise), vous avez privilégié votre réputation au préjudice de l’amour… Vous avez aussi délaissé vos proches et, question fiscalité, votre Jupiter rétrograde montre que vous avez exploité sans vergogne les brèches du pouvoir… Il y a là un « passif » que vous devez à présent régler. »

« Régler !? »

« Oui ! Réparer, si vous préférez…. C’est comme une dette dont vous devez vous acquitter ».


Ainsi s’exprimait (sans doute1) l’un de mes amis, réputé dans le domaine de l’astrologie karmique et malheureusement décédé depuis quelques années.


Cher lecteur, si vous suivez régulièrement mes chroniques, cette mise en situation vous surprendra probablement. En effet, je n’ai guère écrit, jusqu’ici, à propos de l’astrologie karmique et je ne suis sûrement pas prêt à la pratiquer.

Mais, ne pas la pratiquer ne suppose pas que je ne me questionne pas à son sujet, avec des sentiments très contrastés. Ainsi, il m’arrive de feuilleter certains ouvrages et d’y trouver tantôt des considérations prudentes, tantôt des verdicts effarants ; tels ceux qui sont supposés (me disait cet ami astrologue) soulager les consultants : « Ah ! je comprends maintenant pourquoi cela m’arrive… ».

Tout bien considéré, mon sentiment est que nombre de sentences karmiques sont à ce point offensantes qu’elles ont plutôt pour effet d’accabler le consultant et de poser sur ses épaules le poids de la faute2.

Lors de mes cours, il est arrivé plus d’une fois qu’on m’interroge à propos du karma et de ce qu’il convenait d’en penser et d’en dire, dans le cadre de l’astrologie.

Pour ne pas répondre de façon partiale (« Circulez, il n’y a rien à voir… !), j’ai pris le temps de réfléchir à la question.

Premier argument indéniable : la relation de cause à effet. En l’occurrence, il s’agirait d’une transmission, d’un transfert, voire d’un téléchargement (pour reprendre une formule informatique) à travers le voile du temps, par-delà les données qui signent notre naissance et, partant, notre parcours de vie…

Mais cette idée d’un transfert rejoint-elle l’ordre causal ? Et une « perméabilité », entre vie et trépas, par-delà le voile de la mort, est-elle plausible ? Et un fil rouge se poursuit-il d’une incarnation à l’autre, de ce côté-ci de la réalité3?

Avant de tenter une réponse, posons-nous cette question : que devons-nous entendre par « incarnation » et sommes-nous censés en vivre plusieurs ?

Nul doute que nous « incarnons » (matérialisons, exprimons, manifestons) le potentiel inscrit dans notre héritage. Or, ce qui, sur le plan biologique, est censé s’incarner, c’est notre ADN, pas un corps habilement emballé par un magicien naturiste. Quant à la dimension psychologique dont s’intéresse l’astrologie, ce qui nous est transmis, c’est une petite part de la psyché collective, telle qu’elle sous-tend les performances émotives et mentales reconnues au « petit homme », dès ses premières relations avec le monde extérieur.

En considérant notre lien avec la mémoire collective, il me plaît de penser qu’un souvenir subtil (à la manière d’un rêve) peut nous venir à l’esprit, voire une image, un événement ou encore une situation particulière, tout cela étant inscrit dans l’histoire et l’imaginaire des hommes4.

C’est alors que certaines personnes s’empressent de dire qu’elles ont le souvenir de leurs personnalités antérieures. Relevons qu’il s’agit rarement d’un pauvre bougre anonyme, mais plutôt d’une grande figure historique5.

Mentionnons que le concept de la réincarnation implique (soyons prudents : impliquerait) un autre principe : celui de la transmigration de l’âme dans des corps, des époques et des lieux différents6.

Par ailleurs, le fait de concevoir la réincarnation ne suppose pas automatiquement une attitude favorable à son endroit. Pour les hindouistes et les bouddhistes, par exemple, l’idéal est d’échapper à « la ronde incessante de la naissance et de la mort ». Ce à quoi aspire aussi, je suis prêt à le prophétiser, tout consultant qui se découvre un passé bien encombrant…

Alors, en fin de compte, serions-nous vierges de tout héritage ? Bien entendu que non ! Et je fais ici le pari que nous sommes connectés, d’une manière ou d’une autre, à la globalité de l’histoire humaine et, plus précisément, à l’imaginaire collectif dont nous sommes les obligés.

Usons d’une métaphore pour tenter un pas de plus dans notre réflexion. Supposons que je regarde un film au cinéma ou à la télévision. Je peux être troublé par le comportement d’un personnage et, ensuite, découvrir en moi (et en écho) de la sympathie ou de la répulsion pour lui. Il y a là un jeu de miroir qui fait sens au moment où je constate qu’un sentiment, qu’une pulsion, qu’une attente, ainsi mis en scène et en image, illustrent chez moi tel penchant, telle attitude, tel trait de caractère qui me sont proches, voire familiers.

Je n’en déduis pas pour autant que je suis ce personnage ; j’infère qu’il y a un peu de lui en moi.

De même, et parce que nous sommes reliés étroitement au « genre humain », il est possible (mais pas nécessairement probable7) que des passions, des élans ou des effrois, tels que relatés dans les romans et les contes, nous proposent subconsciemment des rôles, des postures et des agissements.

La référence au subconscient est ici, selon moi, l’une des pistes à suivre pour réfléchir ensemble à la question du karma.

Lorsque l’on traite du karma, il est (me semble-t-il) essentiel de considérer une « incidence8»  au niveau de la psyché, non l’implication de faits objectivables.

Ainsi, ce n’est pas une personne qui se « réincarne » en nous, c’est un trait qui caractérise la psychologie humaine et qui se « reproduit » en tant que potentiel comportemental, au même titre qu’un gène se manifeste dans le développement d’un nouvel être en devenir. Non sans souligner que ce trait ou ce gène réapparaît et s’exprime dans un autre lieu, un autre temps, une autre histoire.

Le propre de l’astrologie, nous le savons, est de personnaliser le rapport sans cesse décrit entre la psyché humaine et le monde. Il y a là un processus intime au sein duquel c’est tantôt une situation extérieure qui nous sollicite (et qui, du même coup, révèle notre subjectivité à travers notre réponse) ; tantôt un affect qui nous imprègne de l’intérieur et qui opère à la manière d’un cristallisateur au moment où nous vivons un événement et où, en fonction de nos aspirations et de nos inclinations, nous lui donnons le sens qui nous convient (qui nous con – vient).

Qu’est-ce que le concept de karma vient faire là-dedans ?

Avec sa notation déterministe, il semble s’opposer au libre arbitre. Or, l’astrologie devrait nous habituer à une approche non duelle. Notre rapport au monde se déploie dans l’interaction et, comme j’aime le souligner, dans l’intersistence9 ; non dans le déterminisme des faits eux-mêmes qu’ils soient extérieurs ou antérieurs10.

Le concept de l’intersistence prend toute sa valeur lorsque nous reconnaissons l’importance de l’information. Celle-ci opère comme le ferait un médium, le terme précisant ce qui se produit lorsqu’un champ d’énergie est informé par une circonstance qui contribue à lui donner une forme

Pour la physique quantique (il était temps d’en introduire le propos dans cette chronique), l’univers tout entier est incontestablement informé, étant entendu que cette information est générée par les innombrables champs d’énergie et d’onde qui « meublent » la réalité, mais que cette même information fédère aussi toutes les parties de cette réalité. Ce qui évoque, en un sens, le dilemme de l’œuf et de la poule…

Ainsi, l’univers est un tissu ininterrompu de formes qui apparaissent et disparaissent sur une mer sous-jacente et néanmoins très active. Le passage ou la transition entre ce « vacuum » (qu’on pensait vide autrefois) à l’émergence des formes et à leur manifestation résulte d’instabilités elles-mêmes produites par les circonstances locales.

À l’origine, au commencement de l’univers, ce « vacuum » était primitif et (surtout) vierge. Il était aussi indéterminé quant à l’évolution qu’il allait rendre possible. Ensuite, toute évolution (il en est de même pour l’histoire des hommes) laisse des traces, des acquis, une mémoire. D’où une cascade d’effets et de conséquences qui, à leur tour, deviennent de l’information pour les étapes suivantes.

L’univers initial était probablement structuré de façon minimale et on peut penser que nombre de choses s’y produisaient de façon aléatoire, à l’exception du rôle impérieux des lois fondamentales, parmi lesquelles la gravitation.

Puis, nous assistons à l’accroissement et à l’enregistrement de paramètres physiques et biologiques de plus en plus complexes qui, à la fois, conditionnent la formation de nouveaux phénomènes et rendent possible l’émergence progressive de la vie, de l’intelligence, de la conscience.

Tels sont les jalons d’une nouvelle compréhension de ce qui constitue la matrice même du monde et qui, bien plus loin, sur le fil tendu de l’évolution, rend possible l’émergence de notre conscience.

[Certes, ce ne sont là que des jalons… Vous pensez bien que si tout était clair et connu, cela se saurait… Il nous faut donc, encore et encore, discourir et chercher.]

Que retenir de tout cela pour notre propos ? Qu’un champ quantique, puis génétique et psychique sous-tend le déploiement de notre psyché personnelle au sein du vaste océan de la psyché collective et millénaire.

Il y est question d’informations et d’incidences (voire de co – incidences11), non de causes et de leurs effets. Cela est-il important ? Sans aucun doute, puisque c’est à cette condition que nous pouvons être ou devenir vigilants au moment de saisir l’opportunité d’une information qui nous parvient (qui nous par – vient), plutôt que de nous sentir contraints de suivre machinalement le cours des choses avec, ce qui est pire, l’encouragement de l’astrologue…

Alors, certes, des images, des sensations, des mythes peuvent venir à la surface de la mer océanique et cosmique de l’univers, tant à l’extérieur, dans les sauts évolutifs de la matière, qu’à l’intérieur de nos rêves.

Nous pouvons y reconnaître des fragments de ce que les poussières d’étoiles ont patiemment façonnés. Mais juste pour nous faire signe, pour nous présenter un miroir, sûrement pas pour nous enfermer dans le destin culpabilisant d’une dette karmique.


Jacques VANAISE

Pour tout contact et réaction:
jacques.vanaise@skynet.be

Sur le vif

Astrologie, Karma et informations quantiques

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1 « Sans doute » : parce que si je connaissais bien sa conception de l’astrologie, étant entendu que je n’étais pas présent dans son cabinet lors de ses consultations…

2 Notre culture judéo-chrétienne s’est longtemps employée à alimenter le sentiment de la transgression des lois divines.

3 Nous ne pouvons raisonnablement, voire rationnellement, nous prononcer quant à « l’autre côté » », s’il existe…

4 Et bien entendu des femmes.

5 On connaît l’un des cas les plus fréquents : Napoléon.

6 Tout un programme qui me conduirait bien trop loin dans le cadre de cette chronique. Y reviendrai-je un jour ?

7 C’est comme pour la loterie. Une publicité nous dit que « gagner est possible », ce qui ne nous promet pas que c’est probable.

8 Une incidence, à savoir un effet qui suivrait une cause.

9 « Intersistence » plutôt qu’existence.

10 Au niveau physique et biologique, certes, l’enchaînement des causes est probant. Il en va autrement au niveau psychique où il convient de parler non de cause, mais d’incidence ou de corrélation. Sinon, où placer le libre- arbitre rendu possible grâce à la prise de conscience ?

11 Ce qui rejoint le concept jungien de la synchronicité.