l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

N°212 ~ Juin 2022

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Sur le vif

Cette chronique m’est inspirée par une série diffusée sur « Arte France » et par un documentaire relatif à Marilyn Monroe.

Dans les deux cas, il s’agit d’une relation difficile et très subjective au père. Cela n’est ni banal ni exceptionnel. Nombre d’entre nous interrogent longtemps le lien tendu ou distendu que nous avons vécu (ou non) avec notre « papa ».

La série télévisuelle en question s’intitule « En thérapie ». Je vous l’aurais volontiers conseillée, mais les derniers épisodes ont été diffusés.

Le documentaire à propos de Marilyn Monroe concerne une recherche approfondie (sur base de traces d’ADN) de son père dont elle ne connaissait même pas le nom. Ce que j’en retiens surtout, c’est l’obsession avec laquelle Marilyn a tenté de se réapproprier ses racines paternelles.


L’un des épisodes de la série « En thérapie » me servira de point de départ pour cerner le paradigme du « père fantasmé ».

Un mot d’abord sur l’adjectif « fantasmé ». Quelques synonymes suffiront pour le préciser : idéalisé, mythifié, magnifié ; mais aussi inventé, modifié, altéré.

L’ensemble de cette série « En thérapie » m’a interpelé (une nouvelle fois) par rapport à la pratique de l’astrologie. Je me suis régulièrement demandé s’il était opportun de prendre la parole à la place de notre consultant. C’est souvent ce qui se passe puisque nous lui décrivons son thème astral. En revanche, dans nombre de techniques, de cadres ou de séances psychologiques, le praticien n’est présent au soliloque de son « client » que pour l’accompagner dans le récit de son histoire.

Mais revenons à l’épisode mentionné. Le psychanalyste retrouve une amie d’enfance (qui n’est pas sa patiente). En examinant avec elle un épisode important de sa vie, il constate qu’il s’est forgé une idée et une image de son père absolument différentes de la réalité.

Vers l’âge de dix ans, il vivait seul avec sa mère. Celle-ci était dépressive et utilisait son fils comme sa seule bouée de survie. Le père a quitté le foyer familial. L’image que le psychanalyste a de lui est celle d’un homme très engagé dans son métier de médecin et totalement indifférent à la fois à sa femme et à son fils.

Étant le « sauveur » de sa mère, le jeune homme est persuadé qu’il est seul avec elle lors d’un incident majeur. Sa mère tente de se suicider. Son fils est convaincu que c’est lui qui a découvert sa mère et qui a fait appel aux services d’urgence.

Or, voici que cinquante ans plus tard son amie lui décrit une tout autre version : son père était présent et c’est lui qui a accompagné sa mère dans l’ambulance.

Ce que je relève ici, c’est que ce psychanalyste, pendant des décennies, a forgé en lui une image de son père complètement « fantasmée » et, surtout, cadrant avec ses souvenirs d’abandon et de désintérêt.


Considérons à présent la relation de Marylin avec un père totalement absent, puisqu’elle ne sait rien de lui.

Elle est née de père inconnu. Le documentaire met en scène une longue enquête au terme de laquelle le « géniteur » est (enfin) identifié.

Ce n’est pas le détail de cette recherche qui importe ici, c’est l’insistance et l’obsession avec lesquelles Marilyn n’a cessé de rechercher un père totalement idéalisé et « fantasmé », lui aussi, tandis qu’elle a écarté tout géniteur qui se faisait connaître, Marilyn le refusant et le niant, parce qu’il ne correspondait pas à l’image du père qu’elle idéalisait et magnifiait.


Nous voici donc en présence de deux relations problématiques au père, en tant que figure tutélaire et importante dans le processus de construction de chaque enfant et, conséquemment, de l’adulte.

Nous pouvons toutefois distinguer ces deux expériences infantiles, de même que leurs répercussions ultérieures.

Le docteur Philippe Dayan (c’est le personnage psychanalyste dans la série « En thérapie ») exemplifie le père manqué. Effectivement, il aurait pu construire quelque chose de vivant avec son père. Mais il a raté ce lien en étant persuadé de son détachement, ce qui est démenti par son amie d’enfance1.À l’inverse (ou presque à l’opposé), nous observons chez Marylin la fiction psychique du père manquant, puisqu’inconnu. D’où la « possibilité » pour elle de fantasmer une figure parfaite de son géniteur.

Relevons qu’emportée par le tourbillon de la célébrité, devenue « femme symbole », Marilyn n’aura de cesse de conserver l’admiration dont elle faisait l’objet et de rester le centre de l’attention. Un tel désir, lorsqu’il devient sempiternel, conduit parfois à un effacement de l’identité propre.

Elle écrira : « L’amour n’a pas besoin d’être parfait, il a juste besoin d’être vrai ». Le paradoxe est saisissant : l’image d’un père parfait et aimant n’aurait-il rien de vrai ?

Soyons attentifs à ceci : dans la réalité psychologique, le père (notre père) tel qu’il est raconté, souhaité, fantasmé, mais aussi écarté, nié, effacé, est essentiellement une représentation.

C’est pour cela qu’en astrologie nous ne saurions décrire le père objectif. Ce n’est d’ailleurs pas le but. Il est bien plus utile, au cours de la consultation, de saisir et d’explorer, avec le consultant, les significations, aspirations, attentes et craintes vécues en relation au père « archétypal ».

À cet égard, il ne suffit pas d’avoir (ou de ne pas avoir) un père dans la réalité pour en avoir un (ou pour ne pas en avoir un) à l’intérieur de soi.

Ce n’est pas le lieu d’approfondir ici la place du père dans le triangle œdipien (tel qu’il est posé par l’enfant comme « objet » de complicité, de soutien ou de rivalité). Posons-nous simplement la question suivante : dans un thème astral, comment saisir la figure psychique du père ?

Les symboles planétaires, Soleil, Jupiter et Saturne, sont régulièrement désignés. Je mets en illustration le thème de Marylin Monroe. Chacun / chacune explorera à sa guise le rôle prégnant du père dans sa carte astrale. J’épingle simplement un Soleil isolé (identification), une Lune conjointe à Jupiter et à Neptune (idéalisation et amplification) en carré à Saturne (sentiment d’abandon et besoin boulimique d’affection et de reconnaissance).

Ce que j’aimerais exposer pour terminer cette chronique, c’est une réflexion (un peu rapide, certes) sur le processus psychique qui nous met en relation avec l’objectivité du monde. Les figures du père manqué et du père manquant en seront l’illustration et le prétexte.

J’aime insister, vous le savez, sur le fait que nous vivons sur une frontière, là où interagissent notre psyché et le monde. Considérons à partir de là notre relation à notre père « objectif ». Son profil, son comportement, ses attitudes vont rapidement, dès les premiers mois de notre vie, « pénétrer » dans l’espace de notre psyché.

On peut parler d’introjection, à savoir le passage fantasmatique du dehors au dedans. Ce concept est proche de celui d'identification et, en psychanalyse, il est souvent opposé au mécanisme de projection (projection que nous allons considérer dans un instant).

Ce qui est particulier dans le cadre de l’astrologie, c’est que cette introjection de (par exemple) la figure du père va susciter, éveiller, provoquer des réponses internes. Laissons de côté l’idée d’un déterminisme ou d’une préfiguration de ce qui va se produire au cœur de notre personnalité. Ce qui compte ici, c’est la figure ainsi élaborée dans notre sphère psychique, à savoir dans la dynamique globale de notre croissance psychologique.

Ce qui revient à dire que la figure du père que nous intériorisons nous convient (nous con – vient) dans la mesure où elle sollicite, de notre part, une réponse et une attitude qui nous sont propres.

Certains « bénéfices secondaires » peuvent intervenir dans ce processus, notamment lorsque l’exaltation ou le déni de la figure du père « fait sens » pour nous, à l’intérieur d’un échiquier complexe et multiforme, non limité à la seule relation « enfant – père ». Nous pouvons, par exemple, nous servir d’un sentiment d’abandon, soit pour rechercher sans cesse un appui, soit pour nous convaincre qu’il nous faut réussir seuls.

Qu’advient-il ensuite ? La figure ainsi intériorisée du père manqué ou du père manquant va être projetée vers l’extérieur et, en cela, elle va s’interposer entre le sujet (enfant ou adulte) et son père réel ; au risque de comportements d’approche, de complicité réelle ou feinte, ou au contraire d’éloignement et de déni ; autant d’attitudes qui seront évidemment, à leur tour, perçues comme telles par le père objectif.

On devine là un réel processus d’amplification dans un « aller-retour » incessant. D’où, lors d’une consultation, un récit où domine l’estime ou au contraire la déconsidération vécues dans la relation au père.

Entendant cela, notre rôle n’est évidemment pas de confirmer le sujet dans sa vision supposée objective de son père : « Oui ! Effectivement, il est là dans votre thème, il est représenté par Saturne. Votre père serait-il Capricorne2 ? »

Notre fonction est plutôt de percevoir la cohérence du récit entendu par rapport à la dynamique psychique globale illustrée par le thème de naissance.


À partir de là, on peut s’interroger : nous avons probablement le « papa que nous méritons », dans la mesure que nous l’avons habillé et parfois déguisé « à notre guise ».

Pourquoi l’avons-nous fait ? Parce que nous avions (sans doute) besoin de nous convaincre de quelque chose d’important pour nous, ce qui nous a conduits à introjeter et puis à projeter une image subjective et « fantasmée » de notre père. Jusqu’à découvrir que notre papa, finalement, était différent de ce que nous pensions de lui…

Élucider cela, le comprendre, le reconnaître, l’accepter…, c’est, au besoin, modifier, voire bousculer, notre échiquier intérieur.

Notre père n’est pas, n’a jamais été un expert (un ex – père) dans l’art de nous authentifier.

Notre père objectif ne peut que nous donner la vie3. Nous ne pouvons exiger de lui qu’il nous établisse totalement et tout au long de notre vie.  Ce serait trop facile…


Jacques VANAISE

Le père fantasmé

Pour tout contact et réaction:
jacques.vanaise@skynet.be

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1 Le docteur Dayan est bien entendu un personnage de fiction et nous ne saurions analyser astrologiquement son imaginaire quant à l’image du père.

2 Signe en relation d’analogie à Saturne.

3 Notre mère y contribue bien entendu à 200 %.