l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°205 - Novembre 2021

Billet d’Humeur

Ivan
HÉRARD-RUDLOFF

Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience.

René Char, cité par ORLAN



Née Mireille Porte en 1947, ORLAN s’est « réinventée »2. En témoigne, d’entrée, ce nom d’artiste en lettres invariablement capitales, qui marque « une rupture avec la filiation, avec le nom du père et » « le corps de la mère ». En effet, elle va plus loin qu’un pseudonyme : si l’année de ses 17 ans constitue « [s]a vraie naissance, [s]a renaissance », c’est parce qu’elle crée, en 1964, l’œuvre photographique ORLAN accouche d’elle-m’aime [sic], quelques mois après un avortement clandestin. « Repère dans [s]a vie et [s]on parcours artistique », 1964 correspond à un transit majeur pour cette Uranienne3 : celui d’Uranus carré Soleil natal en VIII (dernier passage direct et exact fin juillet-début août), rejouant et dynamisant leur conjonction de naissance ; transit d’autant plus puissant qu’il aura été précédé par le carré de Pluton au même Soleil natal. Avec, dès l’adolescence, de pareils transits de Lentes bouleversantes au même point vital du thème, la vie d’ORLAN paraissait vouée très tôt à un tournant, fait d’individuation (valeur uranienne) et de rébellion (terme uranien-plutonien), mais aussi d’exhumation : de 1962 à 1964, le semi-sextile à lui-même de Pluton, maître de II, suggère l’émergence de ses dons, en l’occurrence artistiques. « C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à avoir conscience de ‘moi-m’aime’ [sic], à affirmer quelque chose, où j’ai pris conscience que j’étais sortie des injonctions comme ‘être femme n’est rien, il faut être mère’ ». Propos d’affranchissement qui orientent tout naturellement vers son foyer de naissance…

Sa Maison IV Capricorne, mais Verseau intercepté, laisse supposer que, si ORLAN naît dans un ‘cadre’ bel et bien saturnien, elle créera, quant à elle, un foyer différent, ou n’en créera pas du tout, se démarquant par là d’une certaine tradition. En effet, l’artiste n’a pas souhaité fonder de famille, « synonyme d’étouffement, d’enfermement » et assimilée à « du temps volé à la création ». Elle en découd une fois pour toutes avec les « racines » : « il n’y a rien de pire que de se mettre à leur recherche car elles nous agrippent, nous plombent [Saturne], et nous empêchent d’aller ailleurs, d’avancer [Verseau] ». Discours bien imputable à une Uranienne et Marsienne (Mars conjoint son maître d’Ascendant, Vénus), les deux planètes se trouvant, de plus, en semi-carré : du potentiel explosif, et des déclarations tranchantes révélatrices d’une jeunesse au moins en partie traumatisée. Située en milieu ouvrier, caractérisée par une économie perpétuelle (cuspide Capricorne), son enfance est marquée par une mère conformiste (dissonance Lune Balance) et un père à forte dimension initiatique, dans le bon comme dans le mauvais sens. S’il joue un rôle majeur dans l’éveil d’ORLAN aux langues (il la forme à l’espéranto), aux connaissances (il lui apprend le nom des étoiles) et aux arts du spectacle (voir ci-dessous ; tous Soleil Gémeaux), il contribuera indirectement, par la confiance aveugle qu’il place dans un « médecin » ami de la famille, à des auscultations-attouchements sur sa fille, au prétexte d’investiguer la mystérieuse fatigue-maladie dont elle souffre (Soleil en VIII, Maison d’initiation douloureuse). Cette période à la datation un peu floue, d’après ORLAN qui l’a longtemps enfouie, est en tout cas très évocatrice du carré de Pluton à son Soleil en VIII, de 1960 à 1962. Période qui met un terme aux « heures magiques » au cours desquelles la jeune ORLAN assistait, depuis les coulisses, aux spectacles que son père éclairait (pour arrondir ses fins de mois), mais met en route les grands voyages (Mercure en IX), le fait de « prendre le large », « de sortir de [s]on ‘cadre’ initial, de [s]a cage ». Tentative de sortir du cadre est précisément le titre d’une autre œuvre-manifeste d’ORLAN, réalisée dans la foulée d’ORLAN accouche d’elle-m’aime et appartenant à la même série des Corps-sculptures (1964-1967). Soit, de manière littérale, Uranus cherchant à faire exploser Saturne (en semi-carré dans son thème). « Inventer [s]a vie à chaque moment », ou encore « Ne pas rentrer dans les rangs » (terminologie de Marsienne), font figure de mantras réguliers dans les 350 pages de son autobiographie Strip-tease : tout sur ma vie, tout sur mon art (Gallimard, 2021), un livre exemplaire de l’artiste uranien.

Précoce et rapidement indépendante (autodidacte, elle ‘osera’ quitter les Beaux-Arts !), ORLAN démarre avec l’assurance de son génie personnel, que signe en général l’aspect Soleil-Uranus (conjonction en VIII, qui éclairerait par ailleurs ses crises de tachycardie). L’artiste ne doute pas de son talent (on note l’absence de dissonance du Soleil ou de Mercure à Saturne) et écrira, arrogante ou simplement facétieuse : « Je n’ai d’autres concurrent.e.s que ‘moi-m’aime’ ». Son inspiration artistique féconde (conjonction Lune-Neptune Balance en XII, Neptune maître de la V créative et la Lune, de la X professionnelle) a tout loisir de se déployer sous les deux auspices Gémeaux et Uranus et de forger un authentique ‘style ORLAN’. Gémeaux ? Dès ORLAN accouche d’elle-m’aime, l’artiste joue ouvertement avec la langue, les mots (Mercure Gémeaux). Son œuvre est reconnaissable à son caractère non seulement spéculaire (travail sur l’image de soi, les recréations de soi, le thème du double4), mais protéiforme. « Curieuse de tous et de tout », artiste multimédia, ORLAN aura abordé chaque médium d’expression : photographie, peinture, sculpture, performance, vidéo, réalité augmentée, intelligence artificielle, … auxquels il convient d’ajouter l’écriture : « peauaimes » [sic], paroles, Mémoires… Uranus ? Soucieuse de « vivre [s]on époque intensément » et « constamment en éveil, à la recherche de nouvelles connaissances (…) hors de [s]es champs habituels, pour sortir de [s]on espace de confort » (conjonction Mercure-Uranus Gémeaux en IX), ORLAN intègre les innovations technologiques à une œuvre qui prend le corps – son corps – pour support. « Mon travail et ses idées incarnées dans ma chair posent des questions sur le statut du corps dans notre société et son devenir dans les générations futures via les nouvelles technologies et les manipulations génétiques ». Réalisées de 1990 à 1993, initiées à l’hémicycle uranien (limitrophe en II-III), ses « opérations-chirurgicales-performances » retransmettaient par satellite (au Centre Pompidou de Paris et à New York, entre autres) de véritables interventions sur son corps et lui auront permis, outre de se renouveler artistiquement, de toucher un public mondial. Uranus natal en VIII pouvait évoquer de pareilles interventions chirurgicales, avec la notion de progrès médical autant que de risque encouru. Quant à sa popularité soudainement accrue (conjonction Lune-Neptune, semi-sextile Lune-Jupiter), étendue à l’international, l’hémicycle ne fait que ‘rejouer’ une prédisposition de naissance : la conjonction Mercure-Uranus ‘joue’ en Maison IX (l’étranger). Configuration qui explique aussi l’ouverture d’ORLAN aux cultures non occidentales, à l’image des Self-hybridations africaines, amérindiennes, précolombiennes numériques, d’inspiration ethnologique ; « troisième chapitre » autodéfini de son œuvre (après 1- l’interrogation de la culture judéo-chrétienne et 2- les « opérations-chirurgicales-performances ») qui voudrait évoquer une forme d’hospitalité, d’accueil de l’Autre en soi (conjonction Lune-Neptune Balance en XII).

Un premier fil rouge parcourt son œuvre : l’interrogation des critères esthétiques (Ascendant et Lune Balance). ORLAN s’est hybridée à des peintres illustres (Botticelli, Picasso) pour questionner la difformité et le grotesque et brouiller la frontière entre beauté et monstruosité. Depuis, elle ‘porte’ ces questionnements au sens propre, sur elle : son visage se signale par deux bosses temporales, des implants de pommettes détournés de leur fonction initiale pour orner chaque côté de son front, facteurs de répulsion ou de séduction (maquillées, pailletées, luisantes comme les écailles d’un poisson, ces bosses sont devenues « [s]a décapotable »), c’est selon. Réinvention de soi qui porte atteinte au visage, que d’aucuns considèrent comme sacré, mais qu’ORLAN altère d’autant plus « fièrement » qu’il s’agit d’un « masque [qu’elle a] décidé, fabriqué, qui [lui] appartient » : Uranus toujours, planète du Queer. A l’image des transgenres, qui l’attirent, ORLAN se veut une représentante de « tous les entre-deux, les hybrides, ceux qui font des pas de côté, du hors-piste, les hors-norme qui jeu-issent [sic] de leurs apparences inventées ». Propos résolument Gémeaux, dans la forme comme dans le fond, qui excèdent le simple goût du déguisement pour toucher à une vision de l’humanité comme ‘sans circonscription’ : ORLAN ne dit pas « je suis », mais « je sommes », puisque l’être est plus vaste que son identité première et formatée, que « ‘Je’ comprend aussi tous et toutes les autres » ; « Je m’autorise à être toi, je t’autorise à être moi », écrit-elle. Enfin, l’artiste s’est dupliquée sous la forme d’un robot ORLANoïde, traducteur simultané à partir de données MP3 de sa voix, doté d’un générateur de mouvement qui le rend autonome, double qu’elle s’impatiente de retrouver pour « danser un slow avec lui » – tous termes qui évoquent encore le Gémeaux, jusque dans le mouvement dansant. Toutes ces expérimentations traduisent une même excentricité des idées et témérité dans leur mise en application parfois dangereuse, borderline (conjonction Mars-Vénus Taureau au semi-carré de la conjonction Mercure-Uranus Gémeaux).

L’autre fil rouge concerne l’intérêt d’ORLAN pour 1- le devenir des groupes humains (Mercure, maître de IX et XI, conjoint Uranus en IX), qui va de l’enseignement (pôle très marqué avec, notamment, Chiron en I, le Nœud Sud Sagittaire, Jupiter maître de III, Mercure – maître du Nœud Nord – Gémeaux en IX) au transhumanisme (conjonction Soleil-Uranus en VIII), avec ouverture d’une Pétition en ligne5 contre la mort ; et 2- son engagement féministe (Lune trigone Mercure-Uranus). Le chapitre consacré à son militantisme s’intitule « Sororité et féminisme (1947-2020) », manière de signifier qu’elle a ‘toujours’, dès sa naissance (1947), été solidaire de la cause de son sexe. En vérité, ce féminisme qui rejette la « fonction reproductrice » et tient en « aversion » la sphère domestique puise dans une mère érigée en contre-modèle, à qui « ne pas ressembler » : la petite ORLAN qui grandit avec la « panoplie » de la « bonne à marier » trouvera à détourner son « trousseau de mariage » et ainsi alimenter sa pratique artistique. Elle doit sa percée médiatique à l’œuvre-performance (immortalisée par une photographie puissante d’elle en femme non moins puissante) Le Baiser de l’artiste, produite sans autorisation à la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) 1977 : contre 5 francs introduits dans son buste sculpté en distributeur automatique et accumulés dans le triangle pubien, elle distribue des french kiss au public, dans un jeu critique évident avec la prostitution, où l’on a coutume de ‘tout faire’, sauf embrasser. C’est l’année de ses 30 ans, âge qui évoque immanquablement une étape saturnienne ; or, de naissance, Saturne se trouve en Maison X, il effectue donc son premier retour dans le Secteur de la reconnaissance professionnelle et de l’image publique. A noter qu’avec une conjonction natale Saturne-Pluton en X, il n’est pas surprenant que la suite de la carrière d’ORLAN ait confirmé son assise dans le monde de l’art… Plus tard, avec le tableau L’Origine de la guerre (1989), elle provoquera de nouveau en pastichant celui, célèbre, de Courbet (1866), qu’elle perçoit comme l’œuvre d’un « serial-killer » qui aurait coupé les membres d’une femme pour n’en conserver que la vulve. En matière de pendant, elle donne à voir un sexe d’homme en érection ‘normale’, ‘identificatoire’, sans triomphalisme, et suggère qu’un monde conduit par davantage de parité, voire carrément de femmes !, n’aurait peut-être pas abouti à tant de carnage.

Sa vie amoureuse n’échappe pas aux définitions atypiques. Non seulement ORLAN aura mené une vie bisexuelle « sensuelle, intense, généreuse, joueuse, jouisseuse » (conjonction Vénus-Mars Taureau ; Vénus Taureau maître de VIII, XII et I ; V Poissons, avec Neptune en XII et Jupiter Scorpion tout dissonant en II), « expérimentale » (« j’ai presque tout essayé », et surtout : « mon rapport à l’autre a été tels des voyages, des explorations dans des pays différents », reformulation de Mercure Gémeaux en IX), parfois « asexuelle » en réaction-rébellion (Mars-Uranus) au « mot d’ordre ‘il faut baiser’, qu’[elle] déteste », mais elle revendique d’étonnants tropismes, la sapiosexualité (l’intelligence contribue à l’attrait de l’Autre), et fétichismes : la chapeausexualité (au-delà du chapeau, le soin apporté à sa mise, jusqu’au détail). Nous retrouvons là son exigence, tant en termes de connaissances supérieures (Mercure-Uranus Gémeaux en IX) que de sens aigu de l’esthétique (Lune-Ascendant Balance). Si ORLAN a connu une longue expérience du mariage (conjonction Vénus-Mars Taureau en VII), de 1993 (transit de Jupiter conjoint Neptune, maître de V, puis la Lune et l’Ascendant) à 2020 (fruit du transit de Pluton en carré à la Lune et l’Ascendant ; effet de celui d’Uranus conjoint Mars, en VII et maître de VII, les deux se trouvant en semi-carré de naissance), son déroulement a, selon toute vraisemblance, été affranchi de certaines conventions : l’artiste refuse d’être « attachée », « l’entrave du mouvement », « la liberté enchaînée », affirme « [s]es amours libres » et réaffirme « [s]a volonté de ne jamais correspondre tout à fait à ce que la société et l’autre attendent d’[elle] ». Le choix d’une union matrimoniale plutôt qu’un simple concubinage est sans doute la marque d’un Saturne dominant, angulaire en X et maître de IV, insistant donc sur l’axe IV-X de la construction. Le sextile Soleil-Saturne confirme encore qu’ORLAN, malgré un vocabulaire souvent emprunté à Uranus, a aussi conscience de la tradition. A ce titre, il serait faux de dire que sa pratique artistique si particulière expédie sans ménagement l’équivalent de cette tradition, l’histoire de l’art : elle l’interroge dans une démarche critique ; « être innovante, précurseuse, ne peut avoir lieu sans élaboration constructive, sans réflexion ». Dès lors qu’il s’agit de dominantes dans un thème individuel, c’est précisément le sens que l’on peut prêter à un aspect Saturne-Uranus en conjonction ou dissonance (ici, semi-carré) : un tiraillement entre deux valeurs antagonistes, qu’il s’agisse du passé-futur, de la tradition-modernité, ou des autres dialectiques qui en découlent. ORLAN aura eu l’art de manier les opposés ensemble.


Ivan Hérard-Rudloff

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1 Source des coordonnées de naissance d’ORLAN : Demande personnelle d’extrait d’acte de naissance sans filiation auprès de la mairie de Saint-Etienne. Délivré le 14 octobre 2021.

2 Les citations sont extraites de l’autobiographie d’ORLAN : Strip-tease. Tout sur ma vie, tout sur mon art, Gallimard, coll. « Témoins de l’art », 2021.

3 Uranus est conjoint non seulement son maître solaire, Mercure, mais aussi le Soleil : orbe large (presque 13°), mais valable pour une conjonction impliquant l’un des deux luminaires. Avec Uranus situé entre le Soleil et Mercure, faisant en quelque sorte le lien, et tous trois en Gémeaux, je serais même enclin à parler de triple conjonction Soleil-Uranus-Mercure.

4 Plusieurs performances ont impliqué des photographies d’ORLAN grandeur nature, collées sur bois et détourées, ‘doubles’ en compagnie desquels l’artiste se promenait dans la rue. La scénographie de l’œuvre Le Baiser de l’artiste (abordée plus loin) faisait aussi intervenir un dédoublement : SAINTE-ORLAN, à qui il était possible de donner un cierge, répondait à ORLAN fournissant un baiser, en une variation autour du thème « La Madone et la Putain ».

5 https://www.orlan.eu/


Notes sur le thème de naissance d’ORLAN

Quelques remarques sur le thème natal de l’artiste plasticienne française ORLAN, dont l’autobiographie Strip-tease : tout sur ma vie, tout sur mon art est parue au printemps 2021.

Thème de naissance d’ORLAN

Née le vendredi 30 mai 1947 à 16h15 à Saint-Etienne (France)1

Logiciel Zodiac, version 8.4, © André Vander Linden

ivan.herard.rudloff@gmail.com