l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

n°205 - Novembre 2021

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

Récemment, j’ai visionné à la télévision un film sur « Le retour des sorciers ».

L’astrologie y est (immanquablement) incluse dans les techniques « divinatoires » ; bien que le descriptif du film concerne surtout les cartomanciennes, les chercheurs de fantômes et les guérisseurs patentés...

Une première chose a retenu mon attention : l’explosion d’intérêt et de demandes de la part des jeunes (en raison, est-il précisé, de leur quête de sens) vis-à-vis de l’ésotérisme et à travers les réseaux sociaux.

Le film exposait une alternance d’interviews de praticiens (cartomanciennes, spirites, guérisseurs…) et de commentaires scientifiques. Les spécialistes (psychologues, sociologues et autres observateurs des phénomènes humains) sont choisis pour leur expérience dans le domaine des phénomènes sociaux et de tout ce qui gravite autour de la « sorcellerie ».

Ce que je tiens à souligner c’est que ce genre de reportage décrit surtout le « fait sociologique » propre aux croyances à l’endroit des devins, sorciers, magiciens et autres chamans. Par contre, il est rare qu’on y explore plus en profondeur le fondement des pratiques observées.

Cela me remet en mémoire l’enquête - diagnostic publiée en 1971 par Le nouvel observateur sur « Le retour des astrologues » (et à laquelle avait participé Edgar Morin).

Une question y était posée : « Notre époque rappelle-t-elle celles qui, dans l'Histoire, ont précédé la chute de Rome, la fin de l'Empire byzantin ou la Renaissance ? Le changement constitue-t-il une rupture ? Faut-il voir dans le bouleversement des valeurs, la confusion des idéologies et la renaissance des religions, les signes annonciateurs du grand déclin ou les promesses d'un renouveau ? »

Cette question posée en 1971 par le « Nouvel Observateur » reste d’actualité, alors que la pandémie et ses conséquences ont causé ou accentué le désarroi des jeunes. De toute évidence, ils sont de plus en plus nombreux (nous dit-on) à être séduits par les réponses émanant des « sciences occultes », à un point tel que celles-ci cartonnent sur les réseaux sociaux.

De fait, on observe sur « la toile » et souvent sur les pages des « influenceuses »1 un ésotérisme désormais cool et assumé. Fini la sorcière au nez crochu ou la voyante dans une roulotte : aujourd'hui les sorciers et les sorcières s'affichent sur Instagram, sur TikTok ou encore lors de soirées branchées. Ils s'adressent à une jeunesse en perte de repères et ils répondent à leur besoin de se reconnecter à la nature, de réenchanter le monde ou, tout simplement, de se faire du bien.

Dans le film servant de point de départ à cette chronique, on constate donc que les réseaux sociaux permettent aux plus jeunes d’entrer en contact avec l’astrologie, la sorcellerie ou le tarot. Ces mêmes pratiques empreintes d’ésotérisme sont également utilisées par différentes marques de mode qui y voient… un nouveau business lucratif.

Parmi les jeunes interrogés, nous disent les réalisateurs2 du film, 27 % indiquent que la pandémie a eu un impact sur leur liberté de religion ou de croyance.

Or, en Belgique, on estime que la proportion des agnostiques et des athées est de 35% et près de 50% chez les jeunes de moins de 25 ans. Ces chiffres sont-ils déconcertants et contredisent-il l’intérêt des jeunes pour l’ésotérisme ? Pas nécessairement ! Ce n’est pas le goût pour le mystère et le besoin de sens qui sont « en déclin », mais le principe d’une adhésion à un courant religieux3.

Une autre enquête, menée par l’Université de Sherbrooke4 auprès de 6.200 Québécois, met également en lumière le désarroi des jeunes : le tiers des participants de 18 à 34 ans disent souffrir de dépression et d’anxiété depuis l’arrivée de la COVID-19.

C’est principalement l’incertitude quant à l’avenir qui mine, découvre-t-on, nombre d’adultes de 35 ans. Et de préciser : « c’est comme si leur processus de construction identitaire avait été radicalement interrompu ».

De son côté, Le Parisien5  met en évidence une jeune femme connue pour être « la sorcière de TikTok ». Elle déclare manipuler les énergies à l’aide de rituels, de cérémonies ou de sortilèges. Ses abonnés croient, nous dit-on, aux para sciences comme l’astrologie… Ils y voient un moyen de développement personnel et une méthode pour expliquer leur quotidien et pour les aider lors de prises de décision.

Les analystes des phénomènes sociaux considèrent que cela n’est pas nouveau. Dans les années quatre-vingt, à la fin du « Nouvel Âge », on a pu observer une période marquée par de nouvelles spiritualités. Aujourd’hui, ce regain d’ésotérisme s’expliquerait par le fait que nous sommes entrés dans un monde très individualiste. La spiritualité se recherche et se vit « à la carte » et, la demande créant la réponse, chacun peut devenir une sorcière ou pratiquer un art divinatoire, sans nécessairement se réclamer d’un groupe, d’une structure ou d’un mouvement.

Ces différents constats m’incitent à poser cette question : depuis la crise du Covid, l’ésotérisme serait-il un indice selon lequel la science aurait montré ses limites ? Ou, plus communément, cela ferait-il écho, non sans l’amplifier, à notre peur de l’avenir ?

Certes, pour relativiser le propos, mentionnons qu’il existe souvent, dans cette nouvelle attractivité pour l’ésotérisme, un côté ludique, esthétique, voire « glamour ». Il n’empêche, la soif de spiritualité des jeunes est à reconnaître et à rencontrer.


Ces quelques réflexions nous concernent-elles, nous astrologues, fédérés autour d’une éthique et d’un « autre » exercice de l’astrologie ?

Sans nul doute ! Dès lors que nous nous employons à dénoncer les amalgames et à placer l’astrologie dans le cadre des sciences humaines, plutôt que dans le domaine des sciences ésotériques, voire occultes…

Mais j’ai le sentiment que nous devons aller plus loin que l’analyse sociologique indiquée plus haut. Constater un engouement pour l’astrologie6 ne suffit pas. Il n’est pas suffisant de répondre « à la demande », mais de préciser (encore et encore) ce que l’astrologie est et ce qu’elle n’est pas. Ce qui revient (encore et encore) à clarifier ses fondements et à expliciter ses limites.

Parallèlement, notre responsabilité est de ne pas éluder le besoin de spiritualité, mais plutôt de souligner en quoi la voie spirituelle se confond avec l’accomplissement de l’être singulier que nous sommes chacun7.

Ceci restitue au mot « ésotérisme »8  son sens premier : ce qui est intérieur, en opposition ou en contraste à l’exotérisme : ce qui est extérieur ; étant entendu que dans un tel rapport la signification (ésotérique) importe plus que la manifestation (exotérique).

Le Bouddha a dit : « La vie n'est pas un problème à résoudre, mais une réalité à expérimenter ». De fait (et nous en assumons le principe en tant qu’astrologues), il s’agit pour chaque être conscient de trouver sa voie. Comment ? En vivant sa vie personnelle, en créant sa propre vision du monde et en réalisant sa synthèse exclusive à partir de ses expériences intimes, jusqu’à trouver son unicité et le rôle qu’il revient à chacun de jouer.

En considérant le cours de l’histoire collective et dès lors que nous n’entendons plus nous enchâsser dans un mur édifié par d’autres, il nous revient de nous tenir debout sur un socle intérieur, non de nous construire comme des tours soutenues par des échafaudages.

Le rôle d’un ésotérisme bien compris n’est pas de donner des réponses depuis l’extérieur ou de maintenir des dépendances et des assuétudes9, mais de contribuer à ce que chacun puisse fonctionner par lui-même, sans échasses.

« Venir au monde », c’est se rencontrer nous-mêmes à la faveur de nos propres réponses à notre environnement. En cela, les circonstances ne sont pas conditionnantes et déterminantes, mais révélatrices, voire initiatiques.

L’astrologie invite chaque sujet à se mettre à nu par la découverte de celui qu’il est par-delà les rôles qu’il croit devoir jouer. Nous ne sommes pas le produit obligé de nos ancêtres, de notre hérédité, de notre éducation…, à moins que de laisser tout cela nous impressionner, dans le double sens d’influencer et d’imprimer.

Certes, nous sommes bien entendu le fruit (plus ou moins) obligé d’une histoire. Mais nous sommes aussi « autre chose » : un lieu relié au temps et à l’espace où nous sommes nés, où nous avons grandi, où nous suivons notre chemin. Nous sommes un germe, un projet ; ce qui suppose que, chaque jour, nous soyons en train de naître10.

On le voit bien, si l’ésotérisme astrologique traîne avec lui des consonances troubles et comme un parfum d’irrationalité et de magie, l’astrologie ésotérique nous invite à l’acuité du regard en vue d’atteindre le cœur du réel, à commencer par le nôtre…


Jacques VANAISE

Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be

Sur le vif

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1 Personnes (le plus souvent de jeunes femmes) qui, à travers les réseaux sociaux, sont supposées influencer l’opinion, les comportements et les habitudes (notamment de consommation) des internautes.

2 Martin Weill et son équipe.

3 Il existe évidemment des exceptions, là où s’affirme une certaine forme (ou une forme certaine) d’intégrisme ; ou plus couramment aux États-Unis où la religion reste un pilier de la vie politique.

4 Québec, Canada.

5 Quotidien régional français fondé en 1944 et diffusé en Île-de-France et dans l’Oise.  « Le Parisien » dispose également d’une édition nationale sous le titre « Aujourd'hui en France ».

6 En corollaire à un intérêt croissant pour tout ce qui peut (ou qui prétend pouvoir) répondre au désarroi actuel, notamment des jeunes.

7 Relevons qu’à partir de sa langue symbolique et « universaliste », l’astrologie s’emploie à caractériser chaque être humain dans sa singularité. Conjuguer l’universel (à savoir, en l’occurrence, le ciel) et l’originalité créatrice de chacun, c’est ce que fait (aussi) la musique avec sa gamme de sons et la peinture avec sa palette de couleurs.

8 Étymologiquement, le terme « ésotérisme » correspond à « intériorisation du regard ». C’est la démarche de celui qui aspire entrer au cœur de sa réalité profonde et de ses processus psychiques intérieurs.

9 Y compris vis-à-vis des arts divinatoires, mais aussi, plus couramment, à l’endroit de la consommation.

10 Naître vaut évidemment mieux que n’être pas.

Ésotérisme astrologique

ou astrologie ésotérique…?

« …il nous revient de nous tenir debout sur un socle intérieur, non de nous construire comme des tours soutenues par des échafaudages. »