l’Astro Gazette de la FDAF
n°198 - Avril 2021
Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)
“Sur le Vif”
La chronique de
Jacques VANAISE
Pour cette 50e chronique (1), je choisis un thème d’actualité auquel nous devons (devrions) réfléchir en tant qu’astrologues.
Ce thème concerne l’intrusion de la Covid 19 au cœur de nos vies.
D’emblée, observons que nous ne sommes pas égaux face à cette pandémie, pour des raisons de santé, de situation professionnelle et familiale, de lieu de résidence.
Récemment, de nombreux jeunes se sont rassemblés dans des parcs (2) pour se retrouver et pour exprimer leur mal-être face à la situation sanitaire qui nous (et leur) impose des mesures que d’aucuns qualifient de liberticides.
Parmi les dégâts collatéraux causés par la pandémie et, surtout, par les protocoles de confinements qui en découlent, il y a effectivement l’impact sur les jeunes. Leur investissement scolaire est le plus souvent rendu impossible en présentiel. Mais ce qui est le plus préoccupant, c’est la conséquence de ces mesures sur leur devenir, à l’âge où il leur est légitime de construire leur vie étudiante, professionnelle, amicale et amoureuse ; et souvent, tout cela à la fois.
Le présent et l’avenir de toute une jeunesse, tantôt précarisée par la crise sociale, tantôt alertée par l’impasse écologique, sont loin d’être évidents. Les médias parlent d’une génération sacrifiée. La formule est sans doute radicale. Elle prend évidemment en compte une réalité économique. Mais elle souligne surtout le désarroi psychologique des jeunes et leur interrogation : comment valider la fin de leurs études lorsqu’il était prévu qu’ils entrent dans la vie professionnelle ?
Ce dont les jeunes se plaignent c’est la mise entre parenthèses de leur vie, avec pour conséquence une situation psychique de décrochage et de détresse.
Les jeunes seraient-ils plus vulnérables que leurs aînés ? Ils sont spécifiquement dans une étape déterminante durant laquelle ils ont besoin de construire la personnalité qu’ils projettent d’être.
Pour cela, ils ont besoin de relations, d’échanges et de partages.
Le plus important pour eux n’est donc pas uniquement de faire valider leur diplôme, mais de se fixer des objectifs et d’interagir avec les autres.
La transition entre la jeunesse et l’âge adulte est une période d’incertitude. C’est aujourd’hui à une véritable turbulence que nous assistons, amplifiée par un manque flagrant de repères et de liens sociaux.
En quoi ces repères et ces liens sociaux sont-ils importants ?
De toute évidence, nous avons besoin de nos proches pour satisfaire nos besoins fondamentaux, dès la naissance. Puis, vient le temps où nous aspirons à grandir et à devenir une personne. Ce qui suppose la possibilité d’exprimer et de manifester nos propres valeurs.
Que pouvons-nous penser et dire, en tant qu’astrologues, à propos de cela ? Que chaque personne est un processus et que nous ne saurions la considérer comme un être achevé.
Nous sommes tous et nous restons chacun en devenir.
Or, pour devenir celui / celle que nous sommes en potentialité, répétons-le, nous avons besoin des autres, ce qui réintroduit l’importance des liens sociaux et des échanges mentionnés plus haut à propos de ce qui impacte actuellement les jeunes.
Pour observer cela, en tant qu’astrologues, nous nous reportons aux processus de gestation de la personne à travers les secteurs (ou maisons) IV, V, VI et VII.
Tout d’abord plongés dans les évidences partagées au sein du cocon familial (secteur IV), nous avons besoin de nous délivrer de ces seuls critères. Le choc d’idées différentes, voire divergentes, n’a pas pour but de nous faire dévier de notre projet personnel, tout au contraire. Chaque interpellation produite par une « autre pensée » et un « autre point de vue » suscite tout au fond de nous nos propres réponses en attente.
Nous ne pouvons donc nous découvrir qu’en nous établissant hors de nous-mêmes. C’est toute la dynamique entre le secteur V (soi, face à son propre miroir réfléchissant) et le secteur VII (ouverture à ce que nous ne sommes pas, ce qui nous incite à nous nourrir de l’autre, non pour nous acclimater à ce qu’il nous prescrit d’être, mais pour rebondir à partir de ce que nous découvrons ainsi tout au fond de nous).
En résumé, nous sommes d’une façon ou d’une autre, à un moment ou à un autre, en état de manque. Nous avons besoin d’être relancés par « autre chose » que ce que nous avons commencé à mettre en œuvre, par adaptation, convenance ou docilité (secteurs IV et VI).
Au cours de notre progression psychologique d’un stade à l’autre, le long des secteurs astrologiques, nous franchissons tous cette étape importante que je situe dans le Secteur V, à mi-chemin entre la sécurité affective et la surprotection (Maison IV) et la canalisation de notre puissance personnelle (Maison VI), en vue de nous mesurer au monde de la réalité (Maison VII, puis Maison IX).
C’est le moment où nous avons en même temps et contradictoirement besoin de manifester ouvertement la toute-puissance de notre ego et de baliser notre insertion dans le monde à partir de critères, de normes, de cadres et de stratégies partagées.
Le paradoxe est que notre confiance en nous-mêmes repose sur la réalisation pleine et entière de nos désirs et sur l’extériorisation et la valorisation de nos talents, mais aussi sur l’évaluation de ce qui marche bien et de ce qui ne fonctionne pas, de sorte à pouvoir préfigurer des résultats à moyen terme.
Ce dont il est question, au cours de ce processus, c’est de nous définir en tant qu’êtres distincts et spécifiques. Nous sommes seuls à pouvoir réussir cela. D’où un désarroi ou un doute et, parfois, une insécurité sans égale. C’est précisément cette insécurité qui impacte bien plus que d’ordinaire la jeunesse dont il est question plus haut.
À ce vacillement, certaines personnes réagissent en se rétractant sur elles-mêmes, comme pour revenir à l’état de complétude et de totale sécurisation. D’autres affirment au contraire leur différence.
Nous ne saurions nous étonner de telles différences. En effet, contrairement à ce qu’on peut observer chez nombre d’organismes vivants dits inférieurs, l’insertion de l’être humain dans le monde n’est pas fixée par des formes innées et surtout stéréotypées de comportement.
Certes, une procédure psychique très subtile se met en marche dès la naissance à travers les stades de l’ontogenèse de notre personnalité. Mais rien ne se concrétiserait vraiment sans notre communication avec la réalité. Ce qui revient à dire que notre parcours de vie se construit autour de deux pôles : le moi et le monde.
Ces quelques réflexions me conduisent à reconsidérer ma première réaction face au désarroi de toute une jeunesse qui déclare être privée d’une étape importante de sa croissance ; étape, disent les jeunes, qui ne reviendra pas.
Dans un premier temps, et en me souvenant de ma propre adolescence, à une époque où nous n’avions que très peu d’ouvertures sur d’autres mondes que notre milieu familial et scolaire, je pensais que les jeunes se plaignaient avant tout… de ne pouvoir guindailler à leur guise…
Dans un second temps, je les vois surtout entravés dans ce qui est important pour eux : s’essayer à ce qu’ils sont : des adultes en construction…
Le contact social avec des personnes du même âge est très important à l'adolescence. C'est le moment où les jeunes gens et les jeunes filles rompent le lien avec leurs parents et développent leur propre personnalité. Dans le cycle astrologique décrivant les processus psychologiques en œuvre, nous songeons évidemment au Secteur XI, celui où il est question, pour les jeunes, d’interagir avec leurs pairs.
Nous avons tous ressenti, lorsque nous étions jeunes, des rapports de force entre les priorités d’une génération et la suivante. En raison de l’évolution des valeurs, des techniques et des modes de vie, les jeunes ont besoin d’évaluer aujourd’hui leurs aspirations, leurs idées et leurs projets dans un rapport d’émulation et d’affinités, plus que de jugement et de restriction.
Or, leurs opportunités électives (Secteur XI) sont limitées pendant la pandémie. Beaucoup d'adolescents sont donc frustrés, anxieux et déconnectés en raison de l'éloignement social et du manque d'activités culturelles et parascolaires durant lesquelles ils passaient, habituellement, du temps avec leurs amis.
Comme l’écrit une jeune étudiante : « souvent, le seul bruit que j’entends dans mon kot, c’est la pluie contre ma fenêtre, ou un chien qui aboie. La seule chose que je vois, c’est la vue de la fenêtre de ma chambre : l’immeuble d’en face… »
En tant qu’astrologues, nous connaissons toute l’importance de ce que chaque époque préfigure et prépare pour le temps qui vient, que ce soit au niveau individuel ou au plan général.
Nous validons aussi la nécessité pour chacun de construire sa propre histoire et d’inscrire ses nouvelles réponses dans l’histoire collective.
Or, cette double histoire, à la fois individuelle et collective, n’est pas un « destin » réglé comme du papier musical... Ce dont nous avons besoin, c’est de pouvoir manifester notre emprise sur le cours des choses ; c’est aussi d’être capables d’agir sur les événements et d’en influencer le cours.
Pour l’adolescent, la réalisation de soi suppose une éthique personnelle et des rites à inventer. Combien de temps les jeunes pourront-ils se satisfaire de découvertes, d’émulations, d’expérimentations, de joutes et de fêtes … sans cesse différées ?
Comme astrologues, nous savons combien vivre sa vie et vivre sa propre partition, c’est avancer dans nos propres pas pour concrétiser nos lendemains, mais en compagnie des autres. Ce qui revient, pour chacun, à isoler le grain de sable qui nous ressemble et qui, simultanément, prend sens sur l’étendue de la plage.
Alors, une jeunesse sacrifiée… ?
Peut-être pas totalement pour la vie sociale et économique qui reprendra forcément ses droits, un jour ou l’autre. Mais sûrement pour la germination de ces jeunes dont nous aurons besoin demain et qui attendent leur terre, leur milieu, leur printemps, en ce début d’avril…
Jacques VANAISE
Pour tout contact
jacques.vanaise@skynet.be
Une jeunesse sacrifiée ?
Sur le vif
«une véritable turbulence amplifiée par un manque flagrant de repères et de liens sociaux.»
«…notre parcours de vie se construit autour de deux pôles : le moi et le monde.…»
«isoler le grain de sable qui nous ressemble et qui, simultanément, prend sens sur l’étendue de la plage…»
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1 Eh oui, déjà plus de 4 ans de « Sur le vif ».
2 C’est en tout cas ce qui se passe en Belgique.