l’Astro Gazette de la FDAF

Bulletin mensuel de la FDAF (Fédération Des Astrologues Francophones)

N°208 ~ Février 2022

“Sur le Vif”

La chronique de

Jacques VANAISE

« Toujours, l’inattendu arrive »

Charles Struxiano


Deux livres m’ont inspiré cette 60e chronique : « L’Ère du vide » de Gilles Lipovetsky1  et « Leçons d’un siècle de vie » d’Edgar Morin2.

Le premier nous parle de l’authenticité envers soi et Morin écrit quelques pages sur l’imprévu et l’incertain.

Je prends la liberté de transposer leur propos dans le clavier astrologique, sans présumer bien entendu que ces deux auteurs s’intéressent à l’astrologie.

Authenticité, imprévu, incertitude… Ces termes me font penser à Uranus, ou plutôt à la fonction archétypale que nous reconnaissons au dieu Ouranos, le premier roi des Atlantes et l'inventeur de l'astronomie (d’où le rôle que le mythe lui donne, en tant que dieu du Ciel et ancêtre de tous les autres dieux).

Ouranos caractérise l’instant fulgurant de l’action, en contraste évident avec l’interposition de Cronos (Saturne) qui inflige au monde et aux hommes le cercle temporel des expériences et qui balise ainsi l’enchaînement logique des phénomènes et des situations.

Sur un mode psychologique, une personne uranienne entend créer sa propre vie. Au besoin, elle se met à distance pour affirmer son originalité.

Au cœur même du monde contemporain, la tonalité uranienne se reconnaît dans tout ce qui détache l’homme de la terre et le dresse verticalement : les gratte-ciels qui déchirent les nuages comme au temps mythique de Babel ; la fusée interplanétaire qui, un jour, traversera les limites du cercle saturnien3.

Cette élévation désigne l’homme prométhéen, l’homme du progrès, en quête d’un autre monde, mais qui peut échouer aussi dans l’aventure de l’apprenti sorcier4.

Aujourd’hui, nous en sommes probablement là dans une double urgence : celle de la révolte (Uranus) lorsqu’il s’agit de refuser le basculement du monde dans une déliquescence annoncée de la démocratie et celle de la sagesse (Saturne) parce qu’il convient tout de même de garder notre calme et de programmer « à tête reposée » les réformes nécessaires.

Personnellement, je nous perçois collectivement en pleine puberté : des irruptions un peu partout, une grande vulnérabilité, un rejet des balises ou, au contraire, leur renforcement lorsque la recherche de sens est prête à faire le lit des extrêmes.

Comme l’écrit adéquatement Edgard Morin : « Toute vie est navigation dans un océan d’incertitude ».

Aujourd’hui, nous ne savons pas quand nous serons débarrassés du Covid ; si un jour la démocratie aura droit de cité partout dans le monde ; quand et comment les Droits universels de l’homme seront enfin appliqués et respectés…

Nous pouvons interroger l’histoire de plusieurs façons et l’une d’elles est de détecter ce qui est « dans l’air du temps ».

Dans nos sociétés dites évoluées, nombre d’experts mettent en évidence une tendance marquée à plus d’individualisme.

De fait, une nouvelle forme de narcissisme est encouragée par les réseaux sociaux, dès lors qu’ils diffusent les préférences, les goûts et les émotions de chacun. À telle enseigne (je l’ai entendu à la radio belge ce matin) que certains médias sont prêts à programmer des journaux d’information à la carte, selon nos propres convictions. Ainsi, nous n’entendrons plus que ce qui nous intéresse, nous plaît, nous gratifie.

Plus de surprises donc, plus de remises en cause, plus de révision de nos jugements ; signes évidents d’une marche sur un fil tendu, là où nous refusons que le vent contraire d’autres opinions nous fasse tomber dans le vide.

Singularité et originalité ; indépendance et liberté ; mais aussi extrême fragilité et ultime repli sur soi5.


Le climat uranien introduit aussi une aspiration aigüe à de l’authenticité envers soi-même.

C’est sans doute le côté positif : la volonté de vivre conformément à ses propres attentes et aspirations.

Ceci n’est pas anodin, dès lors qu’on assiste là à un changement de paradigme. C’est un basculement quant au crédit donné aux règles, à la tradition, aux coutumes, voire aux prescrits religieux et à une quelconque transcendance, qu’elle soit divine ou plus communément gouvernementale.

Pour autant que cette tendance ne conduise pas à l’anarchie, nous pouvons approuver cette aspiration à devenir de plus en plus notre propre gestionnaire et à gouverner librement notre trajectoire de vie.

Ce nouveau « culte de soi-même » n’est d’ailleurs pas forcément opposé au souhait de partage et à l’engagement pour des causes communes. En revanche, il conduit à une fragmentation du lien social, au risque d’affaiblir les comportements qu’on attend ou espère, en cohérence à ce que nous avons de plus humain en nous, à savoir la solidarité, la tolérance et l’altruisme.

Où nous conduira ce nouveau paradigme validant la différence et la singularité ?

Deux attitudes radicalement opposées se profilent. D’une part, un investissement amplifié dans nos propres attentes ; d’autre part (et en raison d’un dessèchement des projets collectifs) une réaction violente qui consiste à se rallier à de nouvelles « croisades » extrémistes et radicales.

Ainsi centrés sur eux-mêmes, certains protagonistes des luttes sociales actuelles n’ont pas toujours conscience du paradoxe de leur situation. Tandis qu’ils alimentent le plus possible leur sphère privée de tout ce qui les renvoie à eux-mêmes, leur quotidien reste cadré par les propositions hédonistes et commerciales susceptibles de les combler. Le bâton de la révolte en main pour manifester dans la rue, mais les charentaises au pied, le soir, devant la télé…

Prenons conscience d’un tel paradoxe, légèrement caustique, j’en conviens.


Gageons qu’il est possible de traverser, individuellement cette fois, la crise de l’adolescence dans un plus grand équilibre.

En recherche « d’authenticité », comme l’écrit Gilles Lipovetsky, nous aspirons chacun à exercer nos talents, à jouer notre rôle, à incarner ce que nous avons de singulier.

Mais comment faire en sorte que, corrélativement, nous pensions aussi à ce qui nous relie aux autres, à l’histoire, voire au devenir de nos sociétés ?

Notre propre horizon n’est jamais qu’un rivage balayé par la vague des évènements et par les circonstances toutes relatives qui nous proposent le terrain singulier de notre venue au monde et de notre propre histoire.

Nous avons beau authentifier notre ipséité6 et nous vouloir uniques, nous sommes le produit de notre habitat, de notre milieu, de nos ascendances.

À ce propos, considérons que notre rapport au monde se déploie comme si nous étions à l’envers, dans le sens que ce sont les autres qui sollicitent, encouragent ou conditionnent l’émergence de notre présence. Nous sommes là dans un rapport phénoménologique, en ceci que c’est le monde biologique, physique et social qui prévaut d’abord, bien avant que nous devenions conscients d’exister en tant que sujet singulier.

Nous sommes ainsi dans un rapport dépendant à ce qui nous est transmis par hérédité (Lune) et par héritage (Saturne) ; alors même que l’imprévisibilité demeure chaque fois que survient l’inattendu (Uranus).

Dans son livre tout récent, Edgar Morin écrit qu’il est le produit de rencontres improbables, aléatoires, ambivalentes. Ainsi considère-t-il toute l’importance du hasard, sans jamais savoir si le hasard est complètement aléatoire, n’excluant pas que certaines circonstances obéissent à des déterminations cachées à notre entendement.

Je ne profiterai pas de cette perplexité pour rallier Morin à la cause astrologique. Ne nous montrons pas présomptueux au point d’affirmer que l’incidence astrale explique tout.

Autre chose est de dire qu’inconsciemment ou subconsciemment, nous nous attendons à rencontrer et à utiliser « ce qui nous ressemble ».

Plus précisément, nous privilégions les matériaux qui nourrissent les vieux sédiments dont nous sommes faits, par héritage (Lune et Saturne), pour les régurgiter ensuite sous une nouvelle forme, ce qui nous donne le sentiment d’habiter le monde (Jupiter) et, progressivement, d’y inscrire notre propre singularité (Uranus).

Ceci découle-t-il d’un plan tracé par avance ? Sommes-nous assurés de ne pas nous tromper en chemin ? Comment évaluer et valider notre propre part de créativité, d’originalité, d’authenticité ?

Si nous nous fions exclusivement à ce qui a fait ses preuves dans le monde et à ce qui nous a été livré par l’éducation durant nos premières années de vie, c’est comme si nous acceptions les limites de l’encerclement saturnien. Alors que notre projet intime n’est pas nécessairement de respecter les coutumes, mais de nous placer carrément dans l’axe de notre authenticité.  

Dans cette optique, une réalité fortuite devient nécessaire parce qu’elle ouvre de nouvelles possibilités avec, de surcroît, le bénéfice de nous délivrer de ce qui nous contingentait, voire nous contraignait.  

Cette ouverture à la nouveauté peut résulter d’un flair aigu (Uranus) pour ce qui est en germe.  

En cela, l’évènement qui survient inopinément dans le cours de notre vie peut être considéré comme un fait du hasard, alors qu’il est une circonstance, une opportunité, une occasion, pour renouer avec notre propre devenir7.

Ce devenir nous place sur l’axe du temps des autres et, en même temps, il nous fait advenir dans notre singularité.

D’un instant à l’autre, le monde semble se reproduire identique à lui-même.  Et pourtant, dans l’instant, quelque chose d’infime a changé.

Par-delà la relativité de chaque seconde, la toute-puissance de la nouveauté impulse comme un cœur qui bat.

De temps à autre, dans l’infime interstice qui survient entre passé et futur (ou entre devenu et devenir), se produit le qualitatif d’un changement. Celui-ci n’est pas nécessairement intentionnel, il serait plutôt opportuniste : il se saisit de l’occasion pour nous rendre plus authentiques.

Survient tout de même un paradoxe : sommes-nous alors authentiques à la manière d’un acte notarié, étant certifiés par les formes exigées par la loi (par le ciel et les planètes), ou notre authenticité témoigne-t-elle de notre accord avec nous-mêmes, de notre sincérité profonde, de notre intégrité ?

En dernière analyse, ces quelques réflexions nous invitent à nous remettre « à l’endroit ».

C’est assurément ce à quoi nous invite l’astrologie, pour autant qu’elle nous en dise un peu plus sur le rôle libérateur de l’inattendu…

En dernière analyse, et à la faveur des carrefours8 qui se présentent sans cesse à nous, de façon raisonnée ou abruptement, il s’agit que nous devenions le plus possible « qui » nous sommes à partir de ce que les autres ont fait de nous…


Jacques VANAISE

Pour tout contact et réaction:
jacques.vanaise@skynet.be

Sur le vif

________________

1 Éditions Gallimard, 1983

2 Editions Denoël 2021

3 Pour les anciens qui ne connaissaient pas les planètes « dites modernes » (dont Uranus et Neptune), le système solaire était limité à la trajectoire de Saturne.

4 Parmi les pièges et les risques propres au développement extraordinaire des technologies informatiques, il y a les dérives du monde numérique et virtuel créé par les médias. La frontière entre le réel et le virtuel s’y brouille jusqu’à disparaître complètement. Mais surtout, ces « métavers » (ou jeux virtuels) pourraient complètement isoler leurs usagers, bloqués entre une réalité qui ne leur convient pas et un monde virtuel qu'ils préfèrent.

5 Cette chronique deviendrait bancale si je ne tenais compte, fût-ce rapidement, d’autres expressions de la « singularité » dans ses dérives les plus blâmables. Je songe à la véritable folie de l’égo lorsqu’il se met en scène comme c’est le cas chez les influenceurs et influenceuses capables d’agréger autour d’eux / d’elles une communauté de fans pour qui le partage se confond avec le mimétisme. Plus grand est encore le péril lorsque le « je » devient la mesure de toute chose. C’est le cas lorsque l’excroissance pathologique de l’égo se manifeste par la mise au singulier des aspirations dictatoriales d’un chef d’État prêt à engager son pays et son peuple dans la guerre. Cela s’est observé tout au long de l’histoire et, aujourd’hui encore, le pouvoir d’agrégation des hommes, dans nombre de régions du globe, justifie nos alarmes et nos alertes, au nom d’une autre idée de l’humain.

6 Ce qui fait qu’une personne ne peut être considérée comme une autre.

7 Il est utile de ne pas confondre ici le hasard d’une rencontre, d’une lecture, d’une situation qui nous ressemblent, avec les circonstances totalement indépendantes de notre trajectoire de vie. Le hasard d’une lecture peut chambouler nos certitudes et nous faire, par exemple, changer de métier. Autre chose est le fait de nous trouver dans l’avion qui se crache. Cette tragédie ne peut avoir « le même sens » pour chacun des passagers ayant pris place dans ce funeste engin.

8 Ce qui rejoint la théorie des catastrophes ou de l’émergence : chaque système réagit face à des stimuli externes.

Au temps du Verseau,

soyons authentiques, imprévisibles, uraniens…